mardi 30 septembre 2014

Ma voiture avait les vitres teintées....


 Saviez vous que les vitres fumées/teintées étaient interdites sur les voitures au Cameroun? Si si. Avec une exception pour les hommes en tenue et les membres du gouvernement, ce qui se comprend. Qu'est ce qu'un rutilant land cruiser comme ceux de nos gens là sans ses vitres fumées? C'est aussi ce mystère qui fait la beauté de la chose. On voit un costaud mastodonte passer à toute vitesse, avec une plaque d'immatriculation bien particulière, mais on ne peut qu'essayer de deviner qui se trouve derrière les vitres totalement noires : le ministre lui même, sa femme, ses enfants, ou un collaborateur? Aaaah la boss attitude...
La loi date d'il y a longtemps, très longtemps. Années 80 par là. Difficile à croire n'est ce pas, quand on voit le nombre de voitures avec les vitres noires à Douala et Yaoundé. Et ce ne sont plus seulement les grosses voitures. Tout le monde s'y est mis, sauf les taxis. 





Moi meme j'avoue que j'aimais ça. Je pouvais mater les beaux gosses en route en toute impunité, sans être prise en flagrant délit de voyeurisme. Je pouvais chanter à tue-tête sans risquer d'être ridicule. Avec les vitres fumées, je me sentais rassurée, comme dans ma propre intimité.Bon, vous constaterez que j'ai employé le passé. Parce que ça, vraiment, c'était avant....

Il était une fois Boko Haram. Une bande de gars dont on ne sait trop ce qu'ils veulent qui a commencé le désordre au Nigéria ET . Là, le ministre de la défense a décidé de réactiver la loi, ce qui se comprend également. Au moins, les personnes recherchées ne pourront pas se cacher dans des voitures civiles et circuler en toute impunité dans les villes.
Sauf que la communication et la sensibilisation ont été plus que timides à ce propos et que je n'en avais jamais entendu parler, alors que j'écoute la radio tous les matins. Le résultat est que je continuais à me balader gaillardement derrière mes vitres fumées.

Un matin donc de ce mois de Septembre, alors que je suis de repos, me voici sur la route. A un endroit de la ville de Douala, je trouve un attroupement de policers. L'un d'eux siffle et me demande de m'arrêter, ce que je fais de bon coeur. Mes papiers sont en règle et je n'ai rien à me reprocher....

Le type s'approche et je baisse la vitre. Il se présente...... "Officier Machin truc de la légion chose machin. Papiers du véhicule et permis de conduire s'il vous plait". Je m'exécute. Il contrôle tout, minutieusement, puis, me sort : "madame, savez vous pourquoi on vous a demandé de vous arrêter?"
Moi : "Euh... contrôle de routine?".
Lui : "Non. Vous avez des vitres fumées, et d'après la loi numéro XXXXX datant du XXXXX, c'est interdit au Cameroun, je vais donc devoir vous demander de descendre du véhicule afin que nous puissions l'emporter en fourrière."
Magie noire. Ndem total.
Bien sûr, j'ignorais totalement que c'était le cas. Moi je n'aime pas me créer des problèmes surtout pas avec la police du Cameroun qui sait souvent se montrer imbécile. Si j'avais été informée, j'aurais pris des dispositions pour faire retirer le fumage des vitres.
J'arrête le moteur et je soupire. Puis je dis la vérité : je ne savais pas.
"Ah bon? Mais je ne savais pas! Comment se fait-il que les vitres fumées soient interdites et qu'il y ait autant de véhicules avec les vitres fumées" D'ailleurs, au moment où je parle, trois véhicules passent à la queue leu leu avec des vitres fumées. Le policier me rétorque :" Mais madame, nous ne pouvons pas être partout à la fois. Quand nous aurons fini avec vous, nous allons nous occuper des autres usagers qui passeront".
Bien sûr faire emporter ma voiture en fourrière ne m'arrange pas du tout. Perte de temps, perte d'argent. Mais jamais, au grand jamais, je ne sortirai d'argent de ma poche pour corrompre un policier camerounais. Question de principes. J'ai donc tenté la négociation,qui était plutôt mal partie, vu que je ne comptais pas donner de pot-de-vin.
'Monsieur le policier, c'est quand même un peu anormal non? Vous venez de m'apprendre l'existence d'une loi que j'ignorais...."
"...Nul n'est censé ignorer la loi madame"
" Je comprends bien. Mais cette loi est très vieille d'après ce que vous me dites, avant même que je naisse et tout le monde a toujours passé outre.Quand les mauvaises habitudes s'installent et qu'on veut y rémédier, la logique voudrait qu'on commence par une phase de sensibilisation. Or, il n'y en a pas eu, et vous me parlez déjà de fourrière...."
Le policier sourit de toutes ses dents, alors qu'un autre de ses collègues se rapproche déjà.
"Madame, la loi c'est la loi. Vous devez la connaitre. Il y a eu une phase de sensibilisation je suis navré si vous n'avez pas suivi. Vous devez écouter les mauvaises chaines de radio qui passent les musiques au lieu de suivre les infos. Donc je vous demande, on fait comment?"

Comme comment, a dit Jean Njeunga. Je les voyais arriver comme le TGV, ce policier et son collègue qui était déjà posté derrière lui, persuadés qu'ils étaient d'avoir trouvé leur pigeon.
Il regarde mon permis.
"Hein madame XXXX, on fait comment?"
" Bah écoutez. Je vais donc sortir de la voiture et vous laisser emporter l'emporter en fourrière. C'est dommage mais je n'y peux rien."
Le collègue s'approche et se baisse pour me regarder puis se releve en parlant au policier qui m'a arrêtée.
" Madame XXXX fait la dure. Je vais donc devoir conduire ce véhicule à la fourrière". Alors que je prends mes affaires pour sortir du véhicule, le policier se baisse et fait l'erreur que j'attendais qu'il commette depuis.
"Non, laisses, on va trouver un arrangement avec madame XXXX. Vous n'avez pas vingt mille là???...."

Erreur for mboutoukou na dame for ndosss.
Si je suis hors la loi, avec des vitres fumées. Ce n'est pas bien et si la règle est que ma voiture doit aller en fourrière, c'est normal qu'elle y aille. Par contre, si le policier veut en profiter pour prendre de l'argent, ce qui est encore plus répréhensible que mes vitres fumées, alors ça fait 1-1, avantage pour moi. Dès cet instant j'étais en paix avec moi même et sûre de repartir tranquillement avec ma voiture.
"Vingt mille pour faire quoi????"
"On peut s'arranger comme ça..." Genre ca va rendre mes vitres transparentes à ses yeux.
"Je n'ai pas."
"OK. Sortez de la voiture et suivez nous."
Me voici qui sort donc de ma voiture, je prends mon sac à main, sort mon téléphone et lance un appel.

Bon, les amis, il y a une règle malheureuse dans ce pays : il faut avoir des contacts. Pour quasiment tout.Trouver un travail, faire avancer un dossier. Le Cameroun marche sur la tête. Mais ça, vous le savez tous n'est ce pas?

J' ai appelé un ami, à Yaoundé, affilié en quelque sorte à la DGSN à un niveau suffisamment élevé pour faire un bel effet. Il décroche à la première sonnerie et n'a pas le temps de parler que je lui ai déjà expliqué tout le problème. "Ils m'ont demandé de l'argent, tu te rends compte??? Donc c'est comme ça que la police camerounaise est???". Comme si je ne savais pas. Mais en vérité, j'ai ma position sur la corruption à laquelle je me tiens. Je n'encourage pas et je refuse de participer, même si je suis fautive et ca me permettrait de m'en sortir. Par contre le trafic d'influence aka sissia.... Jetez moi la première pierre et venez vivre au pays avec moi.

Alors que je suis au téléphone, je suis les deux hurluberlus vers un kiosque de PMUC un peu plus loin où le QG était installé, avec une femme officier, visiblement le chef de l'opération, en train de relever les différentes informations des voitures arrêtées. Et c'est là que j'ai aussi eu le loisir de me rendre compte qu'il s'agit d'une vaste opération, avec une bonne vingtaine d'autres voitures personnelles aux vitres fumées comme les miennes parquées, et les propriétaires affligés en train de discuter avec les policiers.
Mon ami au téléphone me demande de lui passer le policier qui a pris mon dossier. Je tends donc le téléphone au policier qui le prend quasiment en souriant. Le sourire s'estompe après dix secondes.
-"Pardon, je n'ai pas pris de dossier. Il y a un officier ici, c'est lui qui a pris ça. Moi je n'ai fait qu'obéir aux ordres." Et il me rend mon téléphone comme si c'était un morceau de charbon brûlant.
Je reprends le téléphone.
-"Passes moi l'officier qui est sur les lieux et prends le nom de celui qui t'a demandé de l'argent."
Je donne le téléphone à l'officier qui le prend et me demande qui est au téléphone.
"C'est Yaoundé madame."
Elle le prend et se met de coté. Au début, elle parlait un peu fort, puis son ton a tout doucement commencé à muer.
"Non, ce n'est pas ça monsieur, je n'ai pas demandé d'argent je n'étais pas là.... Non monsieur, ce n'est pas ça... Chef, vous n'avez pas besoin d'en arriver là..." Puis elle s'éloigne encore un peu plus pour commencer à plaider sa cause.
Pendant ce temps, j'ai eu le loisir  de discuter avec une autre victime, un camerounais anglophone qui m'a expliqué avoir débarqué des Etats Unis 48 heures plus tôt.
"How am I supposed to know? It's my wife's car and it's the first time i'm driving it here in Douala. They asked me 70k..."
Moi on ne m'a demandé que vingt mille parce que je conduis le gnama gnama. Comme le pauvre monsieur avait une lexus, les enchères ont augmenté... Je lui ai donné le seul conseil que je pouvais lui donner à ce moment : Menaces les. Si un mbom qui roule en lexus flambant neuve (pas une occasion congelée à vue d'oeil) vous dit qu'il va aller voir votre supérieur, vous avez envie de croire. Même si il ment. Tout est dans la persuasion.
L'officier est revenue après dix bonnes minutes.
"Le dossier de la dame est où?" Son collègue le lui montre.
"Rendez le lui".
Me voici donc qui reprend mon dossier tranquillement. Il va sans dire que les autres conducteurs à coté qui négociaient pour récupérer leurs dossiers se sont du coup énervés.
"Rendez moi aussi mon dossier ça veut dire quoi?" "Comme on t'a menacée au téléphone tu viens rendre hein, nous on fait comment?" "Je veux aussi mon dossier"
Et l'officier de répliquer, avec un fort accent beti :"pardon ne me dérangez pas. Vous savez que qui m'a d'abord appelée. c'est même quoi?" Et un de ses collègues de lui dire :"tu te justifies même pourquoi? On ne rend pas pour vous."
Je me suis éloignée rapidement, non sans repasser devant celui qui m'avait arrêtée. Il a jeté le visage au champ. Je voulais lui demander son nom mais j'ai laissé tomber. Le taux de chômage est déjà suffisamment élevé dans ce pays. J'ai rapidement démarré, et je suis partie illico presto chez un garagiste pour faire retirer le fumage. Il ne faut pas tenter le diable deux fois.

Les leçons de ce petit incident?
1- On est quelqu'un derrière quelqu'un au Cameroun
2- Il y a des lois cachées dans ce pays qui mettent chaque individu potentiellement hors la loi sans qu'il ne le sache. Je suis sûre que cette histoire de vitres fumées n'est est qu'une parmi tant d'autres. Un beau jour, on va se mettre à arrêter les filles en mini-jupe et ventre dehors au nom d'une loi datant de la période de l'indépendance.

Et pour finir... Avis aux propriétaires de voitures...
Si vous ne saviez pas qu'on n'a pas le droit d'avoir des vitres fumées, maintenant vous savez. Et vous savez aussi ce qui vous reste à faire.

Ciao!