Bonjour les gens!
J'ai commencé la rédaction de cet article il y a plusieurs semaines, juste après les évènements relatés. Mais la colère sur le coup, et l'énervement, en avaient fait surtout un amas d'insultes et de gros mots. J'ai donc préféré me calmer avant de revenir vous relater les faits. Vous en saisirez la gravité.
Un matin, 6h30.
Comme d'habitude, à cette heure, un petit embouteillage a commencé à se former à la sortie d'un quartier résidentiel de Douala. Classique. Les routes de Douala ne suffisent plus pour toutes les voitures. Mais bon, c'est partout pareil. Il y a des embouteillages à Paris, New York, Lagos, Londres, donc ça n'a rien d'une spécificité camerounaise.
Une policière est postée à un carrefour, et est chargée de régler la circulation. C'est loin d'être une tâche facile. Les camerounais sont têtus, surtout les pilotes de motos. Elle doit à chaque fois recadrer les conducteurs, les menacer du doigt voire bloquer leur véhicule pour qu'ils obtempèrent. Moi aussi, si je faisais ce métier, je deviendrais forcément désagréable à force de gérer des individus aussi réfractaires à l'ordre que nous pouvons l'être.
A un moment, une voiture veut forcer et sort du rang, alors qu'elle a demandé aux voitures de son coté de s'arrêter. Elle vocifère des mots par très gentils au chauffeur et lui demande de s'arrêter immédiatement. Le chauffeur arrête sa voiture en travers de la route et descend, visiblement très remonté.
"Vous vous prenez pour qui à m'empêcher de passer. Je suis colonel de l'armée camerounaise".
En civil, dans sa voiture personnelle.
Après les ambulances, les véhicules des pompiers, de la police, les délégations escortées, voici un nouveau type de véhicule prioritaire : les voitures personnelles banalisées des colonels en civil qui accompagnent leurs enfants à l'école.
La policière ne se démonte pas et lui rappelle qu'il doit respecter les consignes de celui qui règle la circulation. Visiblement, ça ne plait pas à monsieur le colonel. Et PAF!! Une gifle. Et puis deux. Et puis trois. Et sous le regard ébahi des passants, notre bon colonel se met à taper la policière qui lui aurait "manqué de respect", allant même jusqu'à lui arracher ses galons. Lorsque les collègues de la policière rappliquent et lui demandent de décliner son identité, il refuse catégoriquement et continue la bastonnade.
Pensez vous à une fiction? Non, pas du tout.
Cette scène s'est bien déroulée à Ndogbong un matin au cours du mois de Septembre 2014. Ce matin là, le colonel XXX a bloqué la route et frappé la policière sous le regard de tous les passants, moto taxis inclus, en créant par la même occasion un embouteillage monstre qui s'est éternisé jusqu'à une heure avancée de la matinée. Seule l'arrivée du commissaire sur les lieux, alerté par les motos taxis (qui avaient peur d'intervenir face au colonel) a sauvé la pauvre policière. Ils sont ensuite partis "entre grands" régler l'affaire au commissariat du coin. A ce jour, je n'ai aucune idée de la suite, si il y a eu une quelconque plainte ou des sanctions prises.
Bienvenue au Cameroun. Mon pauvre pays.
Toutes sortes d'insultes se bousculaient dans ma tête quand j'ai entendu cette histoire. Pour ce colonel qui devrait être la honte de l'armée camerounaise. Pour tous les passants qui ont assisté passivement à la scène, sans intervenir fermement par peur de représailles. C'était quand même un "colonel". Une arme est vite sortie.
La symbolique de ce geste est tellement forte qu'à ce jour, j'en suis toujours choquée.
1 Il a frappé un officier de police, en service, en tenue, qui ne faisait que faire son travail. Est ce là le degré de respect qu'on attend des camerounais vis à vis de la police? Cette police sur qui on compte pour faire régner un semblant d'ordre? Je devine déjà les argumentations hasardeuses que certains pourraient sortir : comment les policiers ne font jamais leur travail, comment ils n'arrivent pas à appréhender les bandits, comment ils arnaquent les gens sur la route, comment la policière a du lui dire quelque chose de déplacé... Peu importe! Il faut savoir dissocier les individus de la fonction, et des institutions, et le respect est de mise. Frapper un policier c'est frapper la police toute entière et ce geste est inacceptable.
2 Frappez les femmes! C'est normal! C'est l'attitude à avoir! Voilà le message qui a été envoyé à tous les passants ce jour là. Il a levé la main sur une femme, qu'il ne connaissait ni d'Adam ni d'Eve. Pire, dans le contexte camerounais où la violence aux femmes est malheureusement banalisée, et où les épouses, filles et sœurs doivent parfois subir les coups de leurs maris, pères et frères, il a réussi à pousser le bouchon en allant s'en prendre à une femme avec qui il n'a aucun lien. Se serait-il permis la même chose si au lieu d'une femme policier, il avait affaire à un policier bien baraqué capable de lui démonter la mâchoire en une deux? Lâcheté quand tu nous tiens.
3 C'est un colonel. Haut gradé de l'armée camerounaise. Quelle honte! Ma parole, quelle honte!
Alors qu'il devrait prêcher par l'exemple en raison de son rang, il montre le plus mauvais exemple qui soit à toute la population.
Premièrement en refusant de se plier aux règles de la conduite comme tout le monde. Le phénomène est devenu tellement banal au quotidien qu'on ne s'offusque même plus de voir des voitures personnelles rouler à contresens sans être inquiétées le moins du monde. Le pass? Un béret de la police ou de l'armée posé à l'avant. La police, la gendarmerie et l'armée sont les instigatrices d'un désordre hors du commun sur les routes où ils estiment n'avoir pas à respecter les règles comme le commun des mortels même quand ils ne sont pas en fonction. Si vous pensez que c'est normal, alors je dis NON, NON et NON. Quand ils sont en tenue et en fonction, oui, si ils sont dans un véhicule de l'armée ou de la sureté nationale signalé par la plaque d'immatriculation adéquate oui. Mais pas dans les autres cas. C'est faire la promotion du désordre et ce n'est pas ce qu'on attend des hommes en tenue.
Deuxièmement, quel est ce colonel, qui, pendant que les autres sont au front à se battre contre Boko Haram et à mourir, a pour fait d'arme de frapper une femme sous les yeux des passants?
Ce genre d'attitude est le résultat de décennies de clientélisme et de favoritisme. L'éthique est passée à la poubelle, l'honneur et le respect de son rang ne signifient rien pour tous ces individus qui se retrouvent catapultés à des positions où leurs qualités humaines ne les auraient jamais emmenés. On n'a plus peur de poser des actes d'une telle gravité, car on sait que la même personne, les mêmes circuits vicieux qui nous ont menés à ce niveau nous y maintiendront, peu importe les conneries qu'on fait. Et c'est ainsi que ce colonel a pu frapper cette policière, sans s'inquiéter le moins du monde de tous ceux qui pourraient aussi être derrière elle.
Vraiment le message est fort, très fort.
Dans un pays normal, il y aurait pu y avoir des répercussions. Le tollé général soulevé par cette affaire aurait valu à ce colonel de pacotille au minimum une suspension. Mais au Cameroun, il ne faut pas trop rêver. Au mieux, on lui a touché un ou deux mots en privé, comme on tirerait gentiment les oreilles à un enfant un peu trop têtu. On a sans doute demandé à la policière de se calmer (porter plainte à qui? à un colonel?) et de ne plus "mal parler" aux gens en route. Voilà. Et dans la foulée de ce triste évènement, deux corps essentiels à la vie camerounaise se sont vus trainer dans la boue. Car rassurez vous, c'est à la fois la police et l'armée qui ont prouvé, par la gestion de cet incident, que les valeurs qui devraient leur être propres ont foutu le camp.
Je rêve vraiment d'un jour où tous ces gens de la police, de l'armée et de la gendarmerie auront conscience du devoir qu'est le leur. Il ne s'agit pas seulement de faire régner la terreur au quartier, parce qu'on est dans l'armée. Il ne s'agit pas seulement de profiter de tous les avantages liés à cette fonction. Il y a une attitude qui va avec : de la dignité, de la responsabilité, l'exemplarité.
"Le rang ne confère ni privilège ni pouvoir. Il impose la responsabilité"
Un jour peut être, nous le comprendrons dans ce fichu pays.