jeudi 14 décembre 2017

Une histoire de migrants Part II

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Lorsque j'ai eu mon bac, je me suis directement envolée pour la France pour mes études. Je ne suis revenue en vacances au Cameroun pour la première fois que deux années plus tard.

Je n’ai pas particulièrement préparé ce retour. Je n’ai pas refait ma garde robe, je ne me suis pas équipée en maquillages, bijoux et autres.  Rien. J’avais les petites choses que j’avais pu accumuler en deux ans et c’était bien suffisant pour moi. De toutes les façons, j’étais étudiante, sans petit boulot en raison du planning chargé des classes préparatoires, et venant d’une famille modeste, je ne voulais surtout pas m’affubler d’une image qui ne correspondrait pas du tout à mes réalités. Au-delà de tout cela, au Cameroun, il y avait mon meilleur ami de l’époque, Oscar, qui était obsédé par Mbeng, et que je voulais absolument ramener sur terre.

Oscar vivait dans le même quartier que moi. . Il n’était pas dans la même école que moi mais trainait régulièrement devant le portail à la sortie des classes, délaissant ses propres études, qu’il a fini par abandonner en classe de troisième, alors qu’il n’était pas bête, juste perturbé, et obnubilé par la France et les US. Tout au long de mes années de collège, il avait fini par passer pour le clown de service auprès de la plupart de mes camarades de classe, surtout les filles, qu’il ne manquait jamais de draguer assez lourdement dès que l’opportunité lui était présentée, en parodiant les stars américaines des clips de l’époque.

Vous pouvez vous demander comment j’ai fait pour devenir amie avec quelqu’un comme ça, moi qui à l’époque était concentrée sur mes études… Oscar était foncièrement gentil. Au-delà de la stupidité caractéristique dont il pouvait faire preuve dès lors qu’il fallait parler de tout ce qui se trouve au-delà des océans, c’était quelqu’un de très humain et très bon, qui était devenu un grand frère de substitution pour moi. C’est la première personne que j’ai décidé de « sauver » dans ma vie. J’étais devenue la voix de la raison, à lui expliquer régulièrement que la France et les US n’étaient pas le paradis, et qu’il fallait qu’il essaie de se battre localement pour faire quelque chose de sa vie, qu’il fallait qu’il reprenne ses études, ou qu’il fasse une formation, pour avoir une base. Bien sûr, je prêchais dans le vent, et mon départ lui a juste permis de dire « tu vois… toi-même on te fait partir. Il n’y a rien de bon ici, je te dis ».

Quand je suis revenue en congés, j’ai donc tenu à rester la plus naturelle possible, afin de ne pas lui donner de fausses idées sur la France. Ca n’a pas du tout marché. Je n’étais pas la seule « panaméenne » à revenir en congés, mais vraisemblablement, j’étais la seule à ne pas être en mode « je vais vous en mettre plein la vue ».
Tous les weekends, des étudiants en France comme moi, dont je connaissais les difficultés, écumaient les boîtes de nuit avec une suite de courtisans, qu’ils arrosaient à coup d’euros qu’ils avaient minutieusement économisés les mois précédant leur retour… Chacun tenait à avoir des fringues de marque, de jolies chaussures, le téléphone dernier cri…. Le nombre de souscriptions à certains forfaits chez SFR a dû exploser à la veille des vacances d’été : le téléphone est pris, débloqué quelque part vers Barbès avant le retour, et on se pavane dans Douala avec pendant un mois, en sachant pertinemment qu’on va avoir des problèmes avec la banque et SFR dès le retour quand on ne pourra plus payer les traites obligatoires pendant un an. Mais ce n’était pas grave…  il fallait absolument tenir le rang de « panaméen ».
Je me souviens encore de cet ancien camarade qui m’a froidement dit à une fête à laquelle je participais une semaine après mon arrivée : « tu ne ressembles pas à quelqu’un qui vient de Mbeng ». Tenez vous bien, je n’étais pas vêtue de haillons hein… juste pas assez sophistiquée à son goût. En plus, je prenais le taxi… Je ne vous cache pas que j’avais été blessée dans mon orgueil et qu’à ce jour, je continue à le traiter intérieurement de « chouagne » quand je le croise…

Tout le laïus que j’ai préparé pour Oscar n’a servi à rien. J’ai eu beau lui dire que c’était dur,  lui parler du froid et du calvaire des sans abris, lui dire que certaines personnes qui se la racontaient quand ils étaient en vacances au pays faisaient des escroqueries à la carte bleue et flirtaient avec la prison, que d’autres avaient des emplois tellement dégradants que lui ne pourrait jamais accepter de le faire, que certains allaient jusqu’à emprunter des vêtements en prévision de leurs vacances aux pays, qu’il fallait commencer par apprendre à se battre au Cameroun…. Il est simplement arrivé à une conclusion : je lui mentais pour le décourager. Et je voyais comment l’attitude de certains autres en congés le plongeait un peu plus dans un état de psychose avancé… Il fallait absolument qu’il parte du Cameroun lui aussi !

Quand on avance dans la vie, on finit par se séparer des personnes qui ne vont pas dans le même sens. Inéluctablement, les années qui ont suivi, j’ai cessé d’être amie avec lui. Pendant que j’avais des préoccupations pragmatiques, sur mes études, ma carrière, préparer mon retour, Oscar restait enfoncé dans son obsession:  il m’envoyait régulièrement des messages lui demandant de lui trouver une de mes camarades de classe blanche, « du genre bien laide, bien bête, mais bien riche », qui pourrait le faire monter à Paname. Entre temps, il ne faisait absolument rien de sa vie, et vivotait en quémandant à gauche et à droite. J’ai fini par perdre sa trace, sa mère ayant elle-même fini par le mettre à la porte.

Nous voici rendus quelques années plus tard. Mon petit frère alors étudiant au Maroc m’envoie un message un jour. « Oscar est chez moi ».  « Oscar ? Quel Oscar ??? »
C’était bien notre ancien voisin du quartier, qui était en « transit  au Maroc, en route pour Mbeng. Oscar s’est rendu au Mali à partir du Cameroun (les Camerounais n’auraient pas de difficultés à s’y rendre), a ensuite fait de faux papiers maliens, et est arrivé au Maroc. Son objectif était d’arriver en Europe, et en attendant de trouver le moyen de passer le canal de Suez, il cherchait un toit, et s’était rendu chez mon jeune frère. Je suis tombée des nues, face à toute cette détermination. Oscar avait été incapable de faire le moindre travail au Cameroun, jugeant tout indigne de sa personne, mais il était prêt à tout pour arriver en Europe, y compris à s’appeler Ali Keita. J’ai repris contact avec lui et je lui ai demandé de trouver rapidement une solution et de quitter la chambre de mon petit frère. A ce moment là, la seule chose qui m’importait était de préserver la tranquillité de ce dernier qui était au Maroc pour étudier, et pas pour autre chose. Il m’en a voulu à mort, et je n’ai plus eu de ses nouvelles pendant de longues années.
Aujourd’hui, Oscar serait quelque part à Nice. Oui, il a fini par arriver où il voulait arriver. Je ne sais pas comment il a fait. Je ne sais pas s’il a pris un bateau ou s’il a pris les papiers de quelqu’un. La dernière fois que j’ai eu de ses nouvelles, c’est par une ancienne connaissance commune qui travaille désormais au Congo, qui m’a expliqué qu’Oscar depuis Nice continue à lui demander de le faroter. Comme quoi, sa vie n’a pas vraiment changé. J’aimerais bien le revoir aujourd’hui, pour comprendre s’il a enfin réalisé qu’il a poursuivi une chimère toute sa vie.Il aurait mis la même détermination à finir ses études qu'il aurait même pu aller jusqu'au doctorat. Mais, il ne rêvait que de la France et des US, parce qu'il a vu les autres avec de belles fringues et de grands parfums.

Que peut-on faire pour ce genre de personne qui existeront toujours? Honnêtement je ne sais pas. On aura beau leur parler, rien ne changera dans leur tête. C'est déjà quasiment pathologique. Mais j’en appelle quand même à la responsabilité de tous ceux qui vivent hors du Cameroun. Il est tout à fait humain de vouloir montrer qu’on a réussi, ou simplement de vouloir sauver la face, mais il n’est pas indiqué de vendre des illusions à ceux qui sont restés. Il n’est peut être pas facile d’avouer qu’on a du épouser une femme qui a le double de son âge pour arriver à avoir une situation stable, il n’est pas évident de dire à tous ceux là qui nous admirent et nous encensent que l’argent que nous sommes en train de flamber correspond à plusieurs mois d’économie… Mais il faut apprendre à le faire. Parce qu’il y a des faibles d’esprit. Parce qu’il y a des personnes qui ont besoin de redescendre sur terre. Parce qu’il suffit simplement de la prise de conscience que dans tous les cas, il faut se battre, pour parfois inciter ceux qui sont sur place à se retrousser les manches au lieu de concentrer leur énergie à entamer un périple qui leur coûtera peut-être la vie.  En réalité, ce qui compte ce n’est pas où on veut géographiquement arriver, mais où on veut arriver dans la vie,  et nous devons éviter d’induire nos compatriotes en erreur en les amenant à croire que les deux se confondent, en leur montrant exclusivement une vie de paillettes.

lundi 11 décembre 2017

Une histoire de migrants part I



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Lorsque je le vois pour la première fois, il est dans le bureau d'une de mes collègues, avec un sac plein de vêtements, qu'il essaie de lui vendre. Je m'arrête, et je regarde aussi ce qui est proposé. Je trouve quelques articles intéressants et je prends son contact, en lui proposant de revenir la semaine d'après avec d'autres articles de ce genre. Pour une paresseuse comme moi qui n'est adepte que du shopping sans effort -c'est à dire en ligne- ce jeune homme est une aubaine.

Il s'appelle Alain et il a une trentaine d'années. C'est un vendeur de vêtements, qui a une boutique à Ndokoti, et un portefeuille de clientes privilégiées vers qui il se déplace lorsqu'il a des articles qui pourraient les intéresser.

Il est revenu la semaine d'après, et je lui ai acheté deux robes que j'ai trouvées particulièrement jolies. J'ai maladroitement essayé de négocier au niveau du prix et puis ma nature expéditive m'a rattrapée. J'ai fini par les prendre pas très loin du prix taxé, mais à un prix toujours plus intéressant que celui des boutiques huppées d'Akwa qui s'approvisionnent aussi... chez lui. C'est ainsi que s'est tissée une relation d'affaires. Il savait à peu près le type de vêtements qui me plaisait, et m'envoyait régulièrement des whatsapp chaque fois qu'il y avait un arrivage susceptible de m'intéresser. Lorsque mon attention était piquée, je l'invitais à passer au bureau et je prenais ce qui m'intéressait, en le dédommageant pour son déplacement.

Ca a duré environ six mois, et puis du jour au lendemain, Alino, comme on l'appelait, a cessé de m'envoyer des messages. N'étant pas une acheteuse compulsive, je ne l'ai cherché qu'une fois, après quelques mois, mais sa réponse a été molle et il n'est pas venu au bureau comme d'habitude. Six autres mois sont passés. Ma collègue, qui habitait dans le même quartier de lui, m'a signalé qu'elle ne savait pas où il était passé, mais qu'elle continuait à voir ses enfants de temps en temps dans le quartier.

Nous voici rendus en Décembre 2017, plus d'un an après la dernière fois que j'ai vu Alino.

Aujourd'hui, j'ai été informée qu'il est mort en Libye. Les derniers reportages de CNN et le retour des migrants organisés par les autorités camerounaises ont permis à sa famille de prendre des renseignements auprès de ceux qui l'ont croisé là bas.

Alino est mort noyé dans l'eau, lorsque l'embarcation qui le transportait a chaviré. Je n'étais pas particulièrement proche de lui, mais j'ai pensé au type de personne qu'il était, très battant et débrouillard, prêt à tout pour gagner sa pitance et s'occuper de ses enfants. Et je me suis rappelé qu'il y avait certains "bien-pensants" dont la réaction avait été de fustiger les "paresseux" qui refusaient de se battre au Cameroun et préféraient sacrifier leur vie sur des chemins tortueux dans l'espoir d'atteindre l'eldorado européen, au lieu de "travailler".

Alino était marié. Quelques mois avant son départ, son épouse a pris la route et est arrivée en Italie, en passant par cette même Libye. Elle a commencé à se débrouiller et à envoyer de temps en temps un peu d'argent pour aider son mari qui est resté avec les enfants. Ces euros ont été une véritable aubaine mais ils étaient loin d'être suffisants, dans une famille où tout le monde était dans la pauvreté, et où la moindre maladie était synonyme de mort. Alino se débrouillait, de toutes ses forces, mais c'était loin d'assurer la présence d'un repas dans le plat de ses enfants chaque jour, avec les agents des impôts qui ne manquaient pas de le racketter à l'occasion. Alors, ils ont décidé ensemble, qu'il était préférable qu'Alino laisse les enfants à la grand mère, et qu'il la rejoigne, pour qu'ensemble ils continuent à se battre pour sortir définitivement leur famille de la misère.

A-t-il évalué les risques avant de se mettre en route? Certainement. L'a-t-il fait parce qu'il refusait de se battre au Cameroun, où était trop paresseux pour retrousser les manches? Non. Alino était debout tous les jours à cinq heures, pour être le premier au déballage, travaillait parfois jusqu'à la tombée de la nuit, pour s'occuper de sa famille.  Mais c'était clairement insuffisant pour mettre sa famille à l'abri du besoin, et surtout, il ne voyait pas le bout du tunnel. Alors il a préféré mettre sa vie en jeu, pour rejoindre un environnement où l'espoir semblait permis pour lui. Et il y a laissé sa vie.

Je pense à tous ces bienheureux qui ont eu la chance de naitre avec plus de chances que d'autres, et qui se sont permis à la suite des reportages de CNN de porter des jugements hâtifs sur les motivations de ces différents migrants. Le fait que certains aient vu la mort, et soient prêts à repartir une fois la cagnotte reconstituée devrait plutôt nous interpeller : qu'est devenu le Cameroun pour que nos frères camerounais soient prêts à affronter l'enfer pour en sortir? Sont-ils tous vraiment les rêveurs, naifs, paresseux que certains ont décrits? 

Paix à l'âme d'Alino et de tous ces autres à qui on a enlevé l'espoir.