mercredi 14 janvier 2015

Etre ou ne pas être Charlie.


Je me suis réveillée un matin de Janvier 2015. La journée était tout ce qu'il y a de plus ordinaire dans la capitale camerounaise, Yaoundé. Des gens qui vont et viennent, vaquant à leurs différentes occupations, à l'ombre des sept collines.
Et puis, aux alentours de midi, alors que j'étais attablée avec des amis dans un restaurant de la place, quelqu'un a lâché : "Il y a eu un attentat en France". Tout de suite, l'attention a été captée.
"Où ça?".
Personne ne sait vraiment. Alors, on se rue vers les smartphones pour essayer d'en savoir plus. Quelqu'un a même dit: "Hum, j'espère que ce n'est pas à la Défense, sinon on est sûrs qu'au moins un Camerounais est mort...". Certainement en raison de la concentration élevée de sièges de grandes entreprises et des cols blancs d'origine africaine qui s'y déversent tous les matins....
Finalement, non, il s'est avéré que ce n'était pas à la Défense, mais plutôt dans les locaux de Charlie Hebdo. Charlie Hebdo...
"...Ce n'est pas le journal là qui a passé son temps à énerver les musulmans en caricaturant Mahomet?"
Oui c'est bien ce journal là. Et ses dessinateurs venaient de payer le prix fort pour avoir voulu défendre jusqu'au bout leur droit à se moquer de qui ils veulent, au mépris de la sensibilité des uns et des autres. Finalement, la cible était prévisible...

Bien sûr, il y a eu un élan de compassion. On a pensé aux familles des victimes, à leurs proches qui n'auraient jamais pu imaginer, même dans leurs pires cauchemars, une telle fin. Certes, il y a eu des menaces... mais de là à les voir se concrétiser? On a aussi pesté contre ces extrémistes musulmans qui salissaient l'Islam.
Et puis très rapidement, le sujet à table a dévié. Cinq minutes au mieux, c'est le temps que nous avons consacré à parler de cet attentat là. Chacun a ses chats à fouetter. Et nous, des chats, nous en avons beaucoup.
Cette réaction, au final, était assez révélatrice. En réalité, il y a deux Cameroun bien distincts. Le Cameroun d'Internet, et le Cameroun des Camerounais Lambda, ceux là qui au jour le jour arpentent les rues de Douala, Yaoundé, Bafoussam, sont perdus quelque part vers Dizangue, Kolofata, Belabo et vivent leur vie.

Le hasard faisant bien les choses, j'ai dû totalement me déconnecter de la sphère internet les jours qui ont suivi. Je n'ai donc pas suivi la fin de l'histoire, la traque des frères et l'attaque de Coulibaly, si ce n'est en bruit de fond à chaque fois qu'on allumait la télé et qu'on mettait une chaîne d'information française ou affiliée. Alors on s'arrêtait quelques instants, on suivait et ensuite nous revenions à nos moutons. Me suis je sentie réellement concernée? Non. Au cours du week end, un ami m'a demandé via whatsapp :"Tu n'es pas aussi Charlie?". Je n'ai rien compris. "Euh... Non. Charlie c'est qui?". Il a ri.
Le Dimanche soir, quand j'ai rejoint la civilisation internet, j'ai compris.
Charlie était partout, dans la communauté camerounaise en ligne. Le drame de Charlie Hebdo a fait des vagues. Que dis-je? Un véritable tsunami.
Il y a ceux qui étaient Charlie. De tout leur cœur et de toute leur âme. Mondialisation oblige, que voulez vous.... Et puis il y a ceux qui ne voulaient pas être Charlie et tenaient à le faire savoir aux autres. Il y a ceux qui estimaient que les autres ne devaient pas être Charlie. Ceux qui fustigeaient Bongo et compagnie, ces présidents africains qui ont tenu à aller assister à cette marche alors qu'ils avaient certainement mieux à faire. Ceux qui analysaient les réactions des autres. Ceux qui jouaient aux moralisateurs.Tout ça à cause de Charlie.
Dans tout ce brouhaha, j'ai commencé à apercevoir de nombreux posts sur Boko Haram. Comme si l'attention portée à cet attentat bien loin de nos contrées camerounaises, avait rappelé aux Camerounais d'Internet qu'avant d'être Charlie, ils pouvaient être le Cameroun, et que ce fardeau serait déjà bien assez difficile à porter.
"Pleurez vos morts avant de pleurer ceux des autres. Kolofata. Baga".
"Boko Haram a déjà tué bien plus de 12 camerounais, qui a marché pour ça?".
"Je suis le BIR. Je suis l'armée camerounaise".
La belle blague.

Encore une fois, Internet devenait le lieu de prise de conscience de certains camerounais, ce qui en soit n'était pas une mauvaise chose. Mais je me suis vraiment demandé, si cela avait une quelconque importance.
En quoi le Cameroun et les camerounais étaient-ils vraiment concernés par Charlie?
En quoi la prise de conscience en ligne allait-elle impacter sur la vie du camerounais Lambda?

Le Camerounais Lambda, ce n'est pas celui là qui a accès à Facebook, Twitter, de façon régulière et qui va verser sa rage et sa frustration de réaliser qu'il est secondaire dans l'histoire des autres, sur Internet.
Ne soyez pas bernés par l'agitation en ligne. Le taux de pénétration d'Internet au Cameroun est bien faible, très en dessous des 18% de la moyenne africaine. Et le Camerounais lambda qui va sur Internet, n'y va pas pour participer à des débats : pour ça, il y a le bar au quartier, et il y a la télévision, Afrique Media. Autour d'une bière, c'est plus intéressant. Plus de passion, et le carburant qui régénère la salive est à proximité.
C'est ma call-boxeuse qui va sur Internet pour chercher son blanc. C'est ce chauffeur de taxi qui ne sait même pas utiliser un ordinateur. C'est la nounou de mon fils qui est réellement préoccupée par ce qui se passe à Kolofata car une partie de sa famille s'y trouve, plutôt que par ce qui se passe en France.C'est ce jeune originaire de l'extrême nord qui se retrouve à errer à Douala où il a du se réfugier après avoir fui son village. Il ne sait ni lire ni écrire.
Le Camerounais Lambda est terre à terre.
Il faut manger. Il faut dormir. Il faut travailler. Il faut se soigner. Il faut rêver. Il faut construire. Il faut se bâtir. Des questions existentielles qui ne laissent pas de place pour la fantaisie et le terrorisme en France, c'est de la fantaisie.
Ce n'est pas pour rien si il se sentait bien plus proche de Gbagbo et Khadafi que de Charb et tous les autres qui sont tombés chez Charlie Hebdo. Eux au moins, partageaient en quelque sorte sa réalité.
La liberté pour laquelle il va se battre, ce n'est pas sa liberté d'expression, non, ça c'est l'apanage des gens qui ont déjà réglé leurs problèmes de base et qui n'ont plus faim. Il va se battre pour sa liberté d'avoir une vie décente et d'être respecté. Ce combat là ne se mène pas en ligne, à coups de : "Je suis Kolofata", "Je suis l'Armée Camerounaise", "Je suis le Cameroun". Ce combat là se mène tous les jours, au nord, au Sud, à l'Est et à l'Ouest du Cameroun. Sur le terrain. Et uniquement sur le terrain, n'en déplaise à ceux qui pensent que leur contribution virtuelle vaut quelque chose, eux qui se contentent d'épouser les causes dans la sécurité de leurs nids douillets et derrière leurs ordinateurs.

J'ai pensé à Kah Walla. Oui, vous vous demanderez pourquoi je parle de cette femme politique qui a fait le buzz à un moment pour s'évanouir ensuite dans la nature. Kah Walla est le symbole même de cet égarement des camerounais qui confondent agitation virtuelle et action réelle. Pour l'avoir côtoyé sur place, j'ai toujours su que c'était une bosseuse. Une femme qui chaque jour, travaille avec des camerounais de différentes couches sociales pour améliorer leur quotidien : formations, conseils, management, différents programmes. Son point faible est de ne pas avoir assez de moyens pour le faire à grande échelle. De ne pas assez communiquer sur le sujet. De ne pas avoir une équipe dédiée qui rapporte en ligne le moindre de ses faits et gestes. De ne pas avoir une sentinelle qui se dépêche de hurler avec la meute sur facebook en son nom dès lors qu'une actualité émeut le Cameroun d'Internet. Et pour ça elle a été critiquée. Pour ça, elle a été traitée d'opposante de pacotille, qui apparaît uniquement à l'approche des élections. Mea Culpa, j'ai moi même fait partie des critiques. Mais au final, maintenant que je suis sur place, au Cameroun, et que j'ai la possibilité de demander à des vigiles, à des bayam sellam, et à des moto-taxis ce qui leur importe réellement, j'ai compris que la minorité d'Internet, celle là même qui en ce moment est en train de déblatérer sur Charlie, ne compte pas vraiment.
Rentrez. Créez des entreprises. Faites des champs. Faites évoluer les entreprises de la place. Votez. Militez. Engagez vous dans l'armée.

Au final alors, suis je Charlie, ou pas? En fait, on s'en fiche.

lundi 5 janvier 2015

Camerounais. Ndemeur.





Ô toi mon cher compatriote
Camerounais ou Camerounaise (même seulement d'origine)

Bonne année 2015 à toi.
Je te souhaite beaucoup de bonheur, d'avoir la prospérité, la santé, et plein de succès...
Si je puis me permettre en cette nouvelle année, de te proposer une nouvelle résolution, ce serait la suivante : arrêtes de ndem.

On pourrait t'appeler Ronaldinho, car, comme ce type au sommet de son art, tu t'es rendu spécialiste en feintes en tous genres. Tu enfumes tes adversaires avec classe.
Ronaldinho Gacho
Ne fais pas le surpris, tu sais très bien de quoi je parle.




Tu as de sales habitudes, ô oui très sales. Mais la plus terrible d'entre elles, et la plus communément répandue est celle que j'appelle ndem chronique qui consiste en :
1- Etre toujours en retard
2- Se spécialiser en fausses promesses
3- Décommander et annuler sans prévenir



Je ne sais pas ce qui est à l'origine de cette épidémie. Peut être est ce l'air ambiant qui véhicule un virus particulier. Même les camerounais les plus ponctuels à l'étranger finissent par succomber dès qu'ils s'installent au Cameroun après quelques mois. Plus aucune différence entre les ex-mbenguistes et les locaux en matière de ndem. Mais même, ça n'explique rien, car les camerounais de France, des US, d'Allemagne, ou de n'importe quel autre pays du monde souffrent du même mal dès lors qu'ils doivent traiter entre compatriotes. Il n'y a que les étrangers qu'ils apprennent à épargner. Et encore...

Quelle que soit la tribu, de l'est à l'ouest, du nord au sud, les mêmes attitudes désolantes.... On t'invite à 20h, tu arrives à 22h sans prendre la peine de prévenir ou de t'excuser de ton retard. Tu donnes rendez vous à quelqu'un, tu ne te pointes pas et tu éteins ton téléphone. Tu dois remettre un travail le lundi à 10h, et tu appelles mardi à 12h pour avoir le sujet....


Ceux qui se sont occidentalisés à force de vivre au milieu de gens pour qui les mots ponctualité, sérieux et fiabilité veulent encore dire quelque chose finissent par parler de toi comme on parlerait d'une individu atteint de la gale : "hum les camerounais...". Et ce qui est drôle, c'est que toi même, en parlant de tes compatriotes, tu es capable de prendre ce petit air supérieur en disant :"Ah les camerounais sont toujours comme ça...". Comme si toi tu étais chinois et tu ne faisais pas de même...

Avec toi, quand un évènement est programmé à une heure, c'est un exploit si il débute à l'heure dite comme convenu. Si c'est toi qui organises, la probabilité que tu ne sois pas prêt à l'heure est proche de un. Ensuite, il faut que les participants arrivent à temps, et si ce sont tes frères camerounais tu sais que tu as une bonne marge avant qu'ils n'arrivent. Mieux, si un seul officiel, gouverneur, représentant de X ou Y, y est convié, le problème se complexifie parce que le propre des boss est de faire attendre les autres. Question de principes.

Je me suis toujours demandé pourquoi quelqu'un donnerait rendez vous à une personne à 11h par exemple, si il n'est disposé à la recevoir qu'après sa pause à 14h... Illogique n'est ce pas? Et pourtant c'est ce que tu te sens obligé de faire dès que tu as un peu d'argent ou un peu de pouvoir. Tu adores faire poireauter les petits qui viennent solliciter ton aide. Ils doivent te respecter mais toi tu ne souhaites pas leur témoigner le même respect. Et surtout qu'ils ne s'avisent pas de se lever et de partir sans ton assentiment, même après quatre heures d'attente. Tu ne leur accorderas plus jamais d'audience.

Ce qui m'horripile par dessus tout,c'est que tu te sens généralement obligé de dire OUI, pour passer aux abonnés absents ensuite.
"Pourrais tu faire ceci?"
"Oui. Bien sûr."
Le moment venu, tu trouves refuge dans la quiétude des sisshongos. Le téléphone sonne dans le vide, ou bien tu l'éteins carrément. Tu pourras toujours dire dans un avenir proche ou lointain, quand tu tomberas sur ta victime et que tu seras obligé de t'expliquer, que ta batterie t'a lâché ou que tu as égaré ton téléphone..
Parfois, tu fais même entrer tes enfants dans la danse. "Décroches et dis au tonton là que je suis sortie et j'ai laissé mon téléphone"...
Les camerounais ou l'art de tourner les autres en bourrique.
Qu'est ce que ça t'aurait couté de dire simplement que tu ne pouvais pas? Ou alors que tu ne voulais  pas?

Dans tous les cas mon cher frère camerounais, voici une nouvelle année. C'est l'occasion de te remettre en question et de repartir sur de nouvelles bases. Arrêtes donc de ndem. Sois ponctuel, et réglo dans tes programmes avec les autres. Tu verras ça ne te feras aucun mal, au contraire.