mardi 13 mars 2018
Une histoire de migrants... Part III
Déjà plusieurs semaines que CNN a diffusé son reportage sur le traitement réservé aux migrants en Libye.... La tension est retombée comme un soufflé, à l'instar de toutes les polémiques précédentes ayant agité le landerneau afro sur les réseaux sociaux. Après avoir tempesté, y être allé de son petit commentaire, chacun (du moins la grande majorité) est retourné à sa vie, en attendant la nouvelle polémique... C'est cette propension à s'indigner sur les réseaux sociaux sans que rien ne soit fait pour s'attaquer aux causes profondes qui me chagrine un peu. Je ne me considère pas au dessus de la mêlée : en tant qu'individu, je suis tout autant coupable de passivité que la plupart d'entre vous, lecteurs et commentateurs. Au final, on pourrait passer pour les rigolos de service : toujours prompts à s'indigner, mais sans qu'il n'y ait de conséquences ou de vraies remises en cause des mécanismes qui nous sont propres, à nous Africains, et qui conduisent aux situations que nous décrions. A quoi bon parler si demain nous allons nous retrouver exactement dans la même situation? Les flux migratoires vers l'Europe ne cesseront pas de sitôt.
L'expérience vécue avec une jeune fille qui a travaillé pour moi quelques temps m'a prouvé qu'il est difficile de demander à qui que ce soit de renoncer à ses rêves d'ailleurs, quand le rêve sur place n'est pas possible. Marie*** (prénom modifié) s'est occupée de mon fils pendant six mois. Elle était la nounou idéale : honnête, bosseuse, bilingue, et jeune, donc avec assez de force pour suivre une boule d'énergie de deux ans. J'essayais au maximum de la mettre à l'aise, pour la fidéliser. En dehors de son salaire, je n'hésitais pas à être vraiment généreuse au niveau de son argent de taxi, et des micro-dépannages. Malgré tout, du jour au lendemain, après six mois, elle m'a annoncé qu'elle partait. "Ma tante m'a trouvé le réseau pour Mbeng, donc je vais partir dès demain"...
En réalité, je n'ai pas été surprise. Croire que les cinquante mille francs de salaire que je lui versais pouvaient constituer une bonne cagnotte pour se projeter dans la vie aurait été absurde.
Quand j'ai recruté Marie, elle revenait du Liban. Elle y avait passé deux années, et des échanges que j'ai pu avoir avec elle sur le sujet, ça n'avait pas été une expérience agréable. Elle travaillait comme nounou chez des employeurs qui ne la maltraitaient certes pas, mais qui n'hésitaient pas à la faire chanter pour son salaire. Elle était d'ailleurs revenue avec plusieurs mois non payés... Certaines de ses collègues avaient eu moins de chance. Il y en avait qui avaient été maltraitées, violées, ou jetées à la rue pour avoir osé revendiquer ce qui leur était dû. Vous avez du tous entendre au moins une fois une histoire sordide sur les employées de maison africaines au Liban. Elles ne sont pas inventées...
Malgré tout, à son retour, elle avait réussi à acheter un petit terrain de 200 mètres carrés à Bonendalle, sur lequel elle s'est malheureusement retrouvée empêtrée dans les camerouniaiseries classiques : le vendeur du terrain l'avait vendu à plusieurs personnes et finalement elle se retrouvait avec un terrain qui n'était plus vraiment le sien... Une histoire comme des milliers d'autres
Alors Marie s'était remise au travail, s'était installée en famille, avait réduit au maximum ses dépenses pour épargner, et finalement, avait cherché un réseau pour repartir. Quand elle m'a annoncé son départ, j'ai essayé de lui faire mesurer les risques encourus. Je lui ai parlé de tout : de la route qui n'était pas sûre, des conditions difficiles une fois sur place, de la prostitution forcée pour certaines, du froid, du racisme, de la possibilité pour elle de faire une formation sur place... Marie m'a regardé en souriant et m'a clouée le bec : "Madame, que je fasse une formation pour faire quoi? revenir être dame de ménage chez vous parce que mon diplôme ne m'aura pas aidée à trouver un travail?". Je ne pouvais pas la contredire. J'étais en plein casse tête, à essayer de trouver une solution pour mon jeune frère qui cherchait du travail depuis un an, après l'obtention de son diplôme.
Et c'est comme ça qu'elle est partie. Aujourd'hui, elle est en Autriche et nous nous parlons régulièrement sur Whatsapp. Elle me dit comment la vie est dure, comment elle devra sans doute payer pour avoir des papiers. Et quand je lui ai demandé si elle regrettait d'être partie du Cameroun, elle a été catégorique : "Absolument pas madame. En un an ici, j'ai déjà fait pour ma fille, plus que ce que j'aurais pu faire pour elle en dix ans au Cameroun en travaillant autant voire plus que les petits ménages au noir que je fais ici".
C'est pour ces mêmes raisons que certains des migrants rapatriés au Cameroun ont déjà repris le chemin de l'eldorado. Pour beaucoup, l'horreur vécue en Libye n'a absolument rien à envier à la misère qu'ils vivent au quotidien.
Beaucoup d'entre nous sommes des privilégiés qui ignorent à quel point ils le sont. C'est quand vous aurez visité des familles où le repas est servi une fois par jour, et où la viande est un luxe, que vous mettrez de l'eau dans votre vin.
...
Si nous souhaitons que nos compatriotes cessent de rêver d'ailleurs, nous devons travailler à faire naître les chances pour tous ici. Si nous voulons que les camerounais cessent de voir l'Europe comme un eldorado, nous devons créer notre propre eldorado sur place. Ces propos peuvent faire cliché, mais en réalité, c'est la seule et unique voie de sortie. Après, nous pouvons continuer à nous indigner. ça ne coute rien, et ça ne nous engage à rien, mais une chose est sûre, celà ne changera pas grand chose si on s'arrête à ça.
jeudi 8 mars 2018
Du droit de demander à son mari de faire la vaisselle
Nous sommes le 8 Mars, et c'est la journée internationale des droits de la femme. Je crois que l'occasion est bien choisie pour vous sortir mon petit discours de féministe.
J'ai fini par comprendre qu'être taxé de féministe, en 2018, dans notre société, est une insulte à peine déguisée. Oubliez les grands combats pour la dignité, la liberté et l'émancipation qui ont permis à la femme dans le monde d'arriver à obtenir certains droits qui nous semblent si naturels aujourd'hui... Le féminisme à la camerounaise en 2018 n'est pas très bien perçu.
La féministe pour mes compatriotes, c'est celle qui a passé trop de temps à l'étranger, ou qui a trop regardé la télévision, et qui pense qu'elle peut venir bousculer des règles établies par nos ancêtres depuis la nuit des temps. Vous savez, ces règles là dont on ne conserve que certains aspects, généralement ceux qui donnent un statut privilégié à l'homme, et dont on sait ignorer ceux qui nous rappellent à tous que tout est une question d'équilibre, avant d'être une question d'ego.
Je me souviens d'une discussion, un soir avec des amis. Alors qu'innocemment, je leur apprenais que chez moi, lorsque je reçois des gens, il n' y a rien de plus naturel que de trouver monsieur en train de faire la table ou de servir les apéritifs aux invités pendant que je suis à la cuisine ou en train de prendre une douche pour m'apprêter, j'ai été prise à parti tellement violemment que j'ai remis ma propre vie en question... J'ai appris avec incrédulité qu'il était tout juste hors de question que devant ses amis, un homme en soit réduit à aller chercher des olives pour les mettre dans un bol, parce que sa femme ne pouvait pas le faire. Alors que je demandais comment elle pourrait avoir le don d'ubiquité pour être à la fois en train de surveiller le poisson braisé et à parader devant les invités dans un kaba aux senteurs bien puantes, on m'a rétorqué qu'elle n'avait qu'à se débrouiller... Embaucher autant de domestiques que nécessaire... Se réveiller encore plus tôt que prévu... S'organiser mieux.... Peu importe la solution qu'elle trouvait, l'important était que monsieur ne soit pas mis à contribution devant les invités.
"tu l'émascules"
"donne lui sa place d'homme"
"tu as trop regardé la télévison"
"Mon père n'a jamais rien fait devant des invités. Ma mère se levait à 4h si nécessaire"
Donc comme ça, la masculinité d'un homme se mesure à la quasi déification dont il doit faire l'objet dans sa maison devant les invités, et faire preuve d'empathie, de compassion face à sa femme éventuellement débordée en l'aidant A METTRE DES PUTAINS D'OLIVES DANS UN BOL c'est un aveu de... faiblesse. Je suis toujours perplexe.
J'ai aussi appris ce jour là qu'un homme marié ou en couple ne devait connaître la route de la cuisine que pour pouvoir se mettre devant cette porte et réitérer des instructions qu'il aurait hurlées depuis le salon mais que personne n'aurait entendues.
Si ça a l'air d'être une caricature pour vous, je vous assure que je n'exagère rien.
C'est venu très vite après.
"tu es une féministe"
"tu as trop regardé la télévision"
Je n'étais pas en présence de parents. Non c'était des jeunes, dans la vingtaine ou la trentaine.
Ce qui m'a choquée ce n'était pas leur conception de la vie. Après tout, les arrangements des uns et des autres ne regardent qu'eux et si dans un couple, ils se sont entendus pour que monsieur ne fasse rien dans la maison, c'est leur manioc. Ce qui m'a choquée c'est le fait que ce qui se passe chez MOI fasse l'objet d'un jugement aussi dur de la part des autres. Comme si il fallait absolument se conformer au moule de notre société.
"on n'est pas en France ici, on est en Afrique, on a nos valeurs".
Justement, parlons en, de nos valeurs ancestrales, ces sacro-saintes règles qu'il ne faut surtout jamais remettre en question, parce que "nos aïeux ont toujours fonctionné comme ça".
Nos ancêtres avaient beaucoup de bon sens. Contrairement à ce qu'on peut croire aujourd'hui quand on voit comment certains veulent déformer ce qui était fait avant pour en tirer profit, les rôles étaient définis très intelligemment, et le respect était mutuel. La place de la femme dans la société ne se résumait pas uniquement à celle d'une bonniche qui doit tout faire sans rechigner tout en respectant son Dieu l'homme. Loin de là, très loin de là. L'homme et la femme étaient égaux, sans être semblables, et il en ressortait une répartition claire des tâches tenant compte des possibilités physiques et mentales des uns et des autres, pour arriver à un équilibre parfait. Tu vas à la chasse et à la pêche, je vais au champs et je gère la maison. Tu vas à la guerre, je gère les enfants. Chacun avait sa part du contrat à respecter.
J'ai la sensation qu'avec le temps qui passe, tout ceci a viré à une vaste arnaque. Alors que certains aspects ont forcément évolué (plus personne ne va à la chasse ou à la pêche -littéralement- pour nourrir sa famille, par exemple), vouloir ouvrir la discussion sur d'autres aspects revient à avoir perdu sa tête ou à être trop "occidentalisée". Progressivement, on a oublié que l'équilibre est important, et on en est réduit à essayer de préserver le statut du mâle.
Je prends un exemple. Si monsieur et madame travaillent, c'est naturel que madame participe aussi aux charges du foyer. Si elle ne le fait pas, il est commun qu'elle soit en fait en train d'investir une bonne partie de son revenu dans des tontines qui par la suite vont servir à financer les projets du couple. Mais si par malheur les horaires de travail de madame deviennent trop prenants, ce qui est naturel avec l'augmentation des responsabilités, il faudra qu'elle trouve le moyen de recruter une deuxième nounou car il est compliqué de demander à monsieur de renoncer à ses tournées dans les bars chaque soir après le boulot pour venir se consacrer aux enfants. Toujours le fameux "donne lui sa place d'homme". Pourquoi? Parce que c'est la femme qui élève les enfants. Pourquoi? Parce que ça a toujours été comme ça. Pourquoi?.... Pourquoi?.... Pourquoi?
Si on applique les 5 pourquoi, avec toute la bonne foi du monde, on arrive nécessairement à un blocage. Il ne s'agissait pas seulement pour nos ancêtres de faire une dichotomie claire sur qui doit faire quoi, mais d'arriver à un bon équilibre en fonction des prédispositions et des possibilités des uns et des autres à ce moment là. Si la société évolue, pourquoi s'arc-bouter sur des positions établies il y a plusieurs siècles quand la situation était différente? L'équilibre d'hier n'est pas nécessairement celui d'aujourd'hui, car les paramètres ne sont plus les mêmes, n'en déplaise à certains
Pour la féministe que je suis, tout se résume donc à une question d'équilibre. Si la recherche de l'équilibre veut que je participe plus financièrement, pour que mon compagnon ne soit pas asphyxié par nos charges, je le ferai sans la moindre hésitation pour que nous soyons tous les deux à l'aise. Si la recherche de l'équilibre veut qu'il fasse la vaisselle pendant que je fais la cuisine pour qu'on mange vite tous les deux, alors il la fera et ça ne lui enlèvera pas sa paire de....
N'en déplaise aux nouveaux garants des traditions et aux "pick me".
Sinon bonne fête des droits de la femme. Entre deux soulèvements de kaba, pensez aussi que c'est aujourd'hui que vous devez vous rappeler que vous avez le droit, tous les autres jours de l'année, d'attendre plus des hommes.
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