jeudi 8 mars 2018

Du droit de demander à son mari de faire la vaisselle



Nous sommes le 8 Mars, et c'est la journée internationale des droits de la femme. Je crois que l'occasion est bien choisie pour vous sortir mon petit discours de féministe.

J'ai fini par comprendre qu'être taxé de féministe, en 2018, dans notre société, est une insulte à peine déguisée. Oubliez les grands combats pour la dignité, la liberté et l'émancipation qui ont permis à la femme dans le monde d'arriver à obtenir certains droits qui nous semblent si naturels aujourd'hui... Le féminisme à la camerounaise en 2018 n'est pas très bien perçu.

La féministe pour mes compatriotes, c'est celle qui a passé trop de temps à l'étranger, ou qui a trop regardé la télévision, et qui pense qu'elle peut venir bousculer des règles établies par nos ancêtres depuis la nuit des temps. Vous savez, ces règles là dont on ne conserve que certains aspects, généralement ceux qui donnent un statut privilégié à l'homme, et dont on sait ignorer ceux qui nous rappellent à tous que tout est une question d'équilibre, avant d'être une question d'ego.


Je me souviens d'une discussion, un soir avec des amis. Alors qu'innocemment, je leur apprenais que chez moi, lorsque je reçois des gens, il n' y a rien de plus naturel que de trouver monsieur en train de faire la table ou de servir les apéritifs aux invités pendant que je suis à la cuisine ou en train de prendre une douche pour m'apprêter, j'ai été prise à parti tellement violemment que j'ai remis ma propre vie en question... J'ai appris avec incrédulité qu'il était tout juste hors de question que devant ses amis, un homme en soit réduit à aller chercher des olives pour les mettre dans un bol, parce que sa femme ne pouvait pas le faire. Alors que je demandais comment elle pourrait avoir le don d'ubiquité pour être à la fois en train de surveiller le poisson braisé et à parader devant les invités dans un kaba aux senteurs bien puantes, on m'a rétorqué qu'elle n'avait qu'à se débrouiller... Embaucher autant de domestiques que nécessaire... Se réveiller encore plus tôt que prévu... S'organiser mieux.... Peu importe la solution qu'elle trouvait, l'important était que monsieur ne soit pas mis à contribution devant les invités.
"tu l'émascules"
"donne lui sa place d'homme"
"tu as trop regardé la télévison"
"Mon père n'a jamais rien fait devant des invités. Ma mère se levait à 4h si nécessaire"
Donc comme ça, la masculinité d'un homme se mesure à la quasi déification dont il doit faire l'objet dans sa maison devant les invités, et faire preuve d'empathie, de compassion face à sa femme éventuellement débordée en l'aidant A METTRE DES PUTAINS D'OLIVES DANS UN BOL c'est un aveu de... faiblesse.  Je suis toujours perplexe.
J'ai aussi appris ce jour là qu'un homme marié ou en couple ne devait connaître la route de la cuisine que pour pouvoir se mettre devant cette porte et réitérer des instructions qu'il aurait hurlées depuis le salon mais que personne n'aurait entendues.
Si ça a l'air d'être une caricature pour vous, je vous assure que je n'exagère rien. 
C'est venu très vite après.
"tu es une féministe"
"tu as trop regardé la télévision"
Je n'étais pas en présence de parents. Non c'était des jeunes, dans la vingtaine ou la trentaine.
Ce qui m'a choquée ce n'était pas leur conception de la vie. Après tout, les arrangements des uns et des autres ne regardent qu'eux et si dans un couple, ils se sont entendus pour que monsieur ne fasse rien dans la maison, c'est leur manioc. Ce qui m'a choquée c'est le fait que ce qui se passe chez MOI fasse l'objet d'un jugement aussi dur de la part des autres. Comme si il fallait absolument se conformer au moule de notre société.
"on n'est pas en France ici, on est en Afrique, on a nos valeurs".

Justement, parlons en, de nos valeurs ancestrales, ces sacro-saintes règles qu'il ne faut surtout jamais remettre en question, parce que "nos aïeux ont toujours fonctionné comme ça".
Nos ancêtres avaient beaucoup de bon sens. Contrairement à ce qu'on peut croire aujourd'hui quand on voit comment certains veulent déformer ce qui était fait avant pour en tirer profit, les rôles étaient définis très intelligemment, et le respect était mutuel. La place de la femme dans la société ne se résumait pas uniquement à celle d'une bonniche qui doit tout faire sans rechigner tout en respectant son Dieu l'homme. Loin de là, très loin de là. L'homme et la femme étaient égaux, sans être semblables, et il en ressortait une répartition claire des tâches tenant compte des possibilités physiques et mentales des uns et des autres, pour arriver à un équilibre parfait. Tu vas à la chasse et à la pêche, je vais au champs et je gère la maison. Tu vas à la guerre, je gère les enfants. Chacun avait sa part du contrat à respecter.
J'ai la sensation qu'avec le temps qui passe, tout ceci a viré à une vaste arnaque. Alors que certains aspects ont forcément évolué (plus personne ne va à la chasse ou à la pêche -littéralement- pour nourrir sa famille, par exemple), vouloir ouvrir la discussion sur d'autres aspects revient à avoir perdu sa tête ou à être trop "occidentalisée". Progressivement, on a oublié que l'équilibre est important, et on en est réduit à essayer de préserver le statut du mâle.

Je prends un exemple. Si monsieur et madame travaillent, c'est naturel que madame participe aussi aux charges du foyer. Si elle ne le fait pas, il est commun qu'elle soit en fait en train d'investir une bonne partie de son revenu dans des tontines qui par la suite vont servir à financer les projets du couple. Mais si par malheur les horaires de travail de madame deviennent trop prenants, ce qui est naturel avec l'augmentation des responsabilités, il faudra qu'elle trouve le moyen de recruter une deuxième nounou car il est compliqué de demander à monsieur de renoncer à ses tournées dans les bars chaque soir après le boulot pour venir se consacrer aux enfants. Toujours le fameux "donne lui sa place d'homme". Pourquoi? Parce que c'est la femme qui élève les enfants. Pourquoi? Parce que ça a toujours été comme ça. Pourquoi?.... Pourquoi?.... Pourquoi?
Si on applique les 5 pourquoi, avec toute la bonne foi du monde, on arrive nécessairement à un blocage. Il  ne s'agissait pas seulement pour nos ancêtres de faire une dichotomie claire sur qui doit faire quoi, mais d'arriver à un bon équilibre en fonction des prédispositions et des possibilités des uns et des autres à ce moment là. Si la société évolue, pourquoi s'arc-bouter sur des positions établies il y a plusieurs siècles quand la situation était différente? L'équilibre d'hier n'est pas nécessairement celui d'aujourd'hui, car les paramètres ne sont plus les mêmes, n'en déplaise à certains

Pour la féministe que je suis, tout se résume donc à une question d'équilibre. Si la recherche de l'équilibre veut que je participe plus financièrement, pour que mon compagnon ne soit pas asphyxié par nos charges, je le ferai sans la moindre hésitation pour que nous soyons tous les deux à l'aise. Si la recherche de l'équilibre veut qu'il fasse la vaisselle pendant que je fais la cuisine pour qu'on mange vite tous les deux, alors il la fera et ça ne lui enlèvera pas sa paire de....

N'en déplaise aux nouveaux garants des traditions et aux "pick me".

Sinon bonne fête des droits de la femme. Entre deux soulèvements de kaba, pensez aussi que c'est aujourd'hui que vous devez vous rappeler que vous avez le droit, tous les autres jours de l'année, d'attendre plus des hommes.

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