dimanche 15 novembre 2015

Ca aurait pu être moi...


Vendredi 13 Novembre.

Il est quasiment 23 heures et je m'apprête à dormir.
Mon téléphone vibre. C'est un message :"tu es informée des attentats à Paris??".
"Encore????".
Décidément, le terrorisme ne prend jamais de vacances. Et j'allume la télévision. Car contrairement au peu de couverture que les attentats perpétrés par Boko Haram au Nord Cameroun ont de la part de nos médias locaux, je sais que les médias français ne passeront pas sous silence un drame qui se déroule dans leur pays.
France 24 d'abord. Puis TV5 Afrique.
Et là, en l'espace de deux minutes, je passe de la curiosité à une réelle inquiétude. C'est avec une certaine fébrilité que je ressaisis mon téléphone pour demander à mes amis proches que je peux contacter si ils sont en sécurité.

On me parle de fusillades, de terroristes dans les rues et une salle de spectacle en train de tirer à vue sur des personnes dont le seul crime est d'avoir décidé de sortir un vendredi soir pour aller au restaurant, dans un bar, ou simplement de profiter d'un spectacle. On est un Vendredi soir à Paname. Autant dire que les gens sont dehors. Et dans ces gens, je sais que MES amis peuvent figurer. C'est simple. Si j'y avais encore été, rien, absolument rien ne me dit que je n'aurais pas été à ce moment là dans un bar, en train de prendre un verre avec X,Y ou Z. C'était bien ça, les programmes habituels du Vendredi soir.....
Je parle avec certaines de mes plus proches amies, qui, comble du hasard, sont toutes les quatre ensemble, barricadées chez l'une d'entre elles, en train d'attendre la suite des événements, pendant qu'au dehors les rafales se font entendre.

Des kamikazes ont provoqué des explosions aux abords du stade de France. Ce même stade de France à proximité duquel est situé mon ancien appartement dont je connais parfaitement l'occupant actuel. D'ailleurs, je lui envoie un message dans la foulée. Et Dieu merci, il me répond. "Je devais être au niveau du RER B du stade de France vers 21 heures. J'ai prolongé où j'étais. J'y suis toujours. Dieu Merci". Je stresse pour mes anciens voisins. Quick? Mac Do? Pourvu que personne n'ait eu la malchance d'y être ce soir là. Combien de fois ne m'y suis je pas moi même arrêtée pour prendre rapidement quelque chose à me mettre sous la dent, les jours où je n'avais absolument aucune envie de faire la cuisine?

Dans l'horreur, on dit qu'il n'y a pas de gradation.

Mais là, c'est différent. A six mille kilomètres, je sens la menace. Ca aurait pu être moi, un des malchanceux qui étaient au Bataclan. Peut être pas (sans doute pas) pour un concert de Hard Rock, mais quand même... N'est ce pas là que Charlotte Dipanda a fait son concert récemment? J'aurais pu être en train de profiter des dernières températures gérables à la terrasse d'un restaurant du 11ème. Ou simplement être en train de marcher dans la rue. Je n'aurais provoqué la colère de personne en faisant des caricatures s'attaquant à leurs convictions religieuses. Non, même cette excuse là, les terroristes n'auraient pas pu avoir pour me buter. J'aurais peut être, comme certaines de ces victimes certainement, condamné fermement la politique étrangère de mon pays et ses interventions multiples dans les pays africains, en Syrie, etc... Mais je serais quand même morte en guise de punition.

Ce sont les innocents qui paient : des français de tous les bords, de toutes les couches sociales, des étrangers aussi peut être, aux rêves brusquement arrêtés, pour une raison qui ne dépendait pas directement d'eux. Ça me fait peur. Non pas parce que je me sens particulièrement proche de la France, mais parce que, que je le veuille ou non, il s'agit avant tout d'être humains, et que j'ai des attaches nombreuses en France.

Revenons maintenant à notre propre réalité de camerounais, englués dans nos propres combats. Kolofata, Maroua, Boko Haram. A chaque fois qu'un attentat touche mon pays, l'inquiétude devient encore plus grande dans mon coeur. Jusqu'à quand ça va durer? Comment vont-ils progresser? L'impact sur la vie économique du Cameroun est de plus en plus palpable. Au delà de la situation générale liée à la crise chinoise, nous devons nourrir notre armée, l'équiper. Cela se ressent jusque dans nos portefeuilles, même si nous l'ignorons. J'ai été touchée par les attentats de Paris, je le suis aussi, et encore plus, par ceux de l'extrême nord, même si je vis à Douala et que je n'ai jamais posé le pied dans la partie septentrionale de mon pays.

Mais que se passe-t-il, moins de 48 heures après les attentats de Paris? Nous avons les "nouveaux camerounais" qui se réveillent. Ceux là qui se donnent bonne conscience en dénigrant les malheurs des autres. Comme si c'est un apport suffisant pour élever leur propre pays.

Une réaction désormais classique lorsqu'un attentat frappe un autre pays est de se rappeler soudain, qu'il y a des attentats au Cameroun aussi, au Nigéria aussi, au Kenya aussi. Vous vous souvenez, en début d'année, je le disais déjà. Etre ou ne pas être Charlie, c'était le débat qui déchirait les camerounais, alors qu'en fait, cette donnée n'avait aucun impact sur notre destinée.
Les "nouveaux camerounais", ce sont ces jeunes là, qui généralement (et curieusement) vivent en Occident, qui sont en pleine prise (ou crise) de conscience, et qui affichent un réel sentiment anti-français. "La France exploite le Cameroun". "La France nous maintient en arrière". "La France nous met des bâtons dans les roues". C'est peut être vrai. Personnellement, je pense que c'est en grande partie vrai. Tout n'est qu'intérêt dans ce bas monde. D'ailleurs, la France, le pays, le gouvernement, je n'en pense pas que du bien. Mais alors, comment puis je faire pour inverser la tendance et aider mon pays à acquérir cette autonomie réelle que je lui souhaite, de se développer et que tous les Camerounais en profitent? Là est la réelle question.

J'ai cet individu que je vais appeler Pierre, qui depuis Vendredi soir, a posté au moins trente posts pour expliquer à tort et à travers, que les Camerounais n'ont qu'à s'émouvoir de leurs propres morts. Que la France n'a que ce qu'elle mérite. Que le traitement de l'information est injuste lorsque les attentats frappent le Cameroun. Que les Camerounais qui se sentent concernés sont des faibles d'esprit. Une trentaine de posts. Remontons donc son fil d'actualité. Qu'a-t-il fait lorsque des attentats ont frappé l'extrême nord camerounais? Un post à peine, "RIP Kolofata", rapidement englué dans le reste de ses nouvelles. Et il pense qu'il vaut mieux que les autres, simplement parce que lui, alors qu'ils compatissent pour les morts français, se rappelle soudain que son pays a aussi de la valeur. Soyons cohérents deux minutes.

Quand nous avons eu l'attentat de Maroua, un de mes amis a souhaité lancer une initiative pour collecter des dons pour l'extrême nord. J'ai essayé de faire le relais, étant sur place, entre lui et et une communauté à l'extrême nord. Nous avons rameuté des connaissances, qui avaient toutes pour point commun de se sentir (du moins d'apparence) très concernées par ce qui se passait au Cameroun, tout en vivant à l'étranger. A ce jour, l'initiative est dans le néant. Faute d'un contact fiable à l'extrême nord, mais aussi et surtout, faute d'engouement de la part des concernés. Aujourd'hui, si l'un d'eux s'active à vouloir faire la morale sur les réactions face à l'attentat de Vendredi, j'espère qu'il le fera hors de ma portée internet, car ce sera certainement le début d'une longue dispute.

J'ai cet autre qui souligne l'indifférence face aux morts en Syrie, au Liban, pour ne citer que ceux là, et l'élan de compassion général qui frappe lorsqu'on parle de Paris. Le capital sympathie ne peut pas être le même lorsque le drame a lieu dans un endroit où on a des attaches, et dans un autre endroit dont on entend juste parler à la télévision. C'est un fait et c'est quasiment de la mauvaise foi de vouloir imposer à des êtres humains de fonctionner sur une logique autre que celle du capital émotionnel. D'ailleurs, il y a fort à parier que l'auteur de ce post lui même, n'a pas forcément été ému lorsque les malheurs qu'il juge aujourd'hui ignorés par le monde, ont eu lieu.

Pour finir, j'ai ces autres qui font immédiatement un parallèle, en imaginant le Cameroun réagir de la même façon que la France aurait réagi si cet événement s'était déroulé à Douala par exemple. Envoi de contingents, rapatriements de compatriotes, moralisme sur l'incompétence des services de renseignements. Ça a le mérite d'être drôle, dans un contexte noir. ça a le mérite de rappeler que nous demeurons, dans l'échiquier mondial actuel, des suiveurs. Mais de grâce, si il y en a qui se sentent Paris, qui ont peur pour leurs proches, et qui s'émeuvent que des êtres humains soient tués de cette façon, laissez les. Car leur dénier ce droit, ne changera en aucun cas la situation du Cameroun. Si vous souhaitez la voir évoluer, il y a des actions plus concrètes que vous pourriez mener, autre que de vous agiter sur les réseaux sociaux et de jouer aux moralisateurs. Donnez votre argent, donnez de votre temps. Parler, parler, pour vous donner conscience, c'est une autre forme de lâcheté.

J'aimerais avoir le droit de m'inquiéter pour mes proches à Paris, de compatir pour la douleur des familles des victimes, sans qu'un "nouveau camerounais" ne vienne me faire la morale, surtout pas quand il se contente de faire du cinéma quand un attentat touche le nord Cameroun, bien au chaud dans son fauteuil quelque part à Londres, Hamburg, Yaoundé, Dakar ou... Paris

Je ne suis pas Paris, mais ça aurait pu être moi, baignant dans ma mare de sang, seulement parce que j'ai voulu un vendredi soir, sortir avec des amis. Et rien que pour ça, je suis un peu plus touchée.

4 commentaires:

  1. Hello, je suis en train de parcourir ton blog et suis très timide en commentaires mais je ne peut me taire face a ce post! Je suis entièrement d'accord avec cet article et je ne comprend pas pourquoi certains trouvent reprochables de pleurer des morts en rapport a leur nationalité. Super le blog by the way :)

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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