mercredi 8 mars 2017

Lettre à ma future fille


Hello Mademoiselle,

A la veille de la journée internationale de célébration des droits de la femme, je me suis laissée aller à une petite réflexion sur la place de la femme dans la société camerounaise d'aujourd'hui, et sur les différents challenges auxquels elle est confrontée. A la suite de cette réflexion, je me suis dit qu'il était opportun que je t'adresse ce petit message, en préparation du jour où éventuellement Dieu voudrait bien que tu arrives sur cette terre. Une femme avertie en vaut deux.

Je ne te cache pas que je ne suis pas du tout sereine en pensant à ton éventuelle venue. Pourquoi? Parce qu'être une femme aujourd'hui, ce n'est pas du tout facile. Élever une fille, lui inculquer les valeurs auxquelles on croit, l'est encore moins. La peur d'échouer est beaucoup plus grande quand je pense à ta future éducation et aux conditions dans lesquelles tu vas être élevée.

On parle de féminisme, de se battre pour et défendre les droits des femmes. Mais mon avis est que les droits les plus importants sont négligés, au profit du droit de faire n'importe quoi. Et cette perversion dans la recherche d'une émancipation dont on ne comprend plus très bien l'objectif conduit à une perte totale de repères pour les jeunes filles.

Tu arriveras dans un monde où des Kim Kardashian de toutes les versions sont célébrées sur les réseaux sociaux, dont je ne doute plus de l'influence forte. Des filles sans talent particulier, si ce n'est celui de savoir mettre en valeur leurs atouts corporels, drainent des millions d'admirateurs, des milliers à l'échelle camerounaise. Aucune activité professionnelle suffisamment bien rémunérée ne leur est connue, mais elles affichent ostentatoirement leur niveau de vie, des accessoires de luxe, des voitures. Une horde d'admirateurs les encensent, faisant semblant d'ignorer au final que tout ce matériel n'a été acquis qu'à la sueur de leurs fesses dans des conditions parfois très sombres. Le rappeler c'est se faire taxer immédiatement d'aigrie ou de jalouse.

Tu seras un jour une adolescente influençable. Tu passeras sans doute par cette phase hautement vulnérable où tu auras également envie de susciter l'admiration chez les hommes, la jalousie chez les femmes, être connue et reconnue. Tu auras envie d'être aussi belle qu'une X ou une Y, et d'être parée des plus beaux articles de luxe. Nous sommes toutes passées par là, à un moment de nos vies, nous avons souhaité être ce genre de femme qui polarise l'attention et dont le physique finit par devenir le fond de commerce. Tu y arriveras aussi, et tu seras submergée par des Facebook, Instagram, Twitter, où ce type de femme est célébrée. Il faudra que je t'apprenne à ne pas perdre le Nord, à ne pas croire que tout ce qui brille est or, et à sacraliser ton corps qui reste le sanctuaire de ton âme.

Il faudra également que tu apprennes à t'aimer et à t'apprécier telle que tu es, et à gérer des complexes inéluctablement amplifiés par une société qui continue de réduire les femmes à leur physique. Tu pourrais ne pas correspondre aux canons de beauté en vigueur à ce moment. Tiens, aujourd'hui, la femme convoitée a des formes, et un teint clair. Un nombre incalculables de femmes aujourd'hui se sentent obligées de correspondre à cet idéal de beauté. Elles sont des millions à payer pour des augmentations mammaires ou arrondir leurs fessiers, et à se décaper, au mépris des règles élémentaires de prudence. Je ne considérerai avoir réussi que lorsque j'aurai réussi à t'insuffler suffisamment d'amour propre pour t'apprécier telle que tu seras, et à ne pas fonder ta valeur que sur des arguments physiques, qu'au final le premier chirurgien esthétique venu serait en mesure de te fabriquer.

Tu l'auras compris, ton physique aura un grand impact sur ta vie. Et pendant qu'un pan du féminisme s'attelle à défendre le droit des femmes de s'en remettre à ce physique, et d'user de leurs corps comme bon leur semble, au risque de pervertir la société,on ne met pas suffisamment d'efforts à se battre pour faciliter notre épanouissement dans d'autres domaines.

Tu viendras au monde dans une société africaine où tu seras d'abord définie par rapport à ta situation matrimoniale. Il sera attendu de toi que tu te maries, idéalement avant trente ans, au risque de subir les remarques désobligeantes des uns et des autres. Tu entendras peut être un jour un hurluberlu déclarer qu'être non mariée à trente ans fait de toi une pute. Tu devras gérer cette pression, et apprendre à ne pas y céder en t'unissant à la mauvaise personne pour les mauvaises raisons, simplement pour toi aussi passer devant un maire. Le nombre de plus en plus élevé de divorces de nos jours devrait interpeller tous ces partisans du mariage à tout prix, mais on préfère pointer un doigt accusateur vers la perte de nos valeurs ancestrales. Comprends qu'on voudra parfois te refuser le droit de prendre ton temps, et de faire tes choix, y compris celui de rester seule à certains moments.

Dans cette société qui est la notre, ta souffrance physique et morale continue d'être banalisée. Aujourd'hui encore, une femme battue qui se rend au commissariat rencontrera peut être de la compassion, mais aussi quelques personnes qui n'hésiteront pas à lui dire qu'il s'agit là d'un des aléas du mariage et qu'elle devrait penser à protéger son conjoint en lui évitant la prison. Oui, malheureusement, aujourd'hui encore, la violence aux femmes n'est pas toujours pas traitée avec la fermeté qu'il faudrait. Aux femmes perpétuellement humiliées et rabaissées par les infidélités de leurs maris, on dira que l'homme est faible et que c'est inévitable, car ils sont tous infidèles. Tu seras invitée à ronger ton frein et à fermer les yeux quand ton cœur saigne. Dans les couples où il est difficile d'avoir un enfant, tu verras les regards se tourner immédiatement vers la femme, les mauvaises langues parler de stérilité ou fausses couches à répétition qui auraient endommagé son utérus, quand il pourrait s'agir d'un simple cas d'azoospermie. La stérilité a beau être un mot féminin, elle concerne pourtant les hommes et les femmes, un fait que cette société à tendance fortement machiste choisit encore en majeure partie d'occulter.

Tu seras une femme, je l'espère intelligente et qualifiée dans le domaine qu'elle choisira. Mais de nombreux écueils t'attendront. Il te sera demandé de ne pas en faire trop, de peur d'intimider l'homme. On te dira qu'il vaut mieux ne pas être trop intelligente, trop diplômée, ou trop bien payée. On te demandera toujours de ne pas viser le sommet, au risque de ne pas pouvoir trouver ton âme sœur, qui devra nécessairement se situer au dessus de toi. Oui, notre société misogyne et machiste a encore ce genre de considérations, qui s'étiolent heureusement avec le temps. Aujourd'hui, je vois certains hommes forts être fiers de leurs épouses aux parcours brillants. Ne renonces surtout pas, et gardes en tête que celui qui t'aime devra aimer tes ambitions.
Une fois dans le monde professionnel, le combat commencera. Le harcèlement sur lieu de service concerne aujourd'hui en majorité des femmes, et ton physique pourrait finir par devenir un handicap pour toi, là où seules tes capacités intellectuelles devaient se faire valoir. Combien de femmes aujourd'hui doivent repousser les avances de leurs supérieurs avec beaucoup de tact et de diplomatie, car ces derniers ne risqueraient pas grand chose en cas de dénonciation? Combien de femmes aujourd'hui sont injustement accusées de promotions canapés et doivent faire face à des quolibets et des ragots quand elles n'ont fait que récolter les fruits de durs efforts? Tu ne le sais pas encore, mais une analyse comparative des salaires montre qu'à niveau égal, les femmes gagnent encore moins que les hommes. Tu devras donc fournir plus d'efforts que tes confrères masculins pour prétendre aux mêmes choses. Au moment de te récompenser, on gardera toujours en tête que tu peux potentiellement être enceinte, que tu dois consacrer du temps à ta famille. Et on se retrouvera à brider, consciemment ou inconsciemment, tes ambitions sans tenir compte de ce dont tu es capable et de ce que tu veux pour toi.

Tu verras par toi même une fois que tu seras là. Il sera attendu de toi que tu sois forte, très forte, pour garder la tête haute malgré tout et tracer ton petit bout de chemin. Je tiens à te dire que tu auras quand même des modèles de positivité et de réussite féminine, car aujourd'hui il y en a des milliers que j'ai la chance de croiser tous les jours, connues ou inconnues : Des femmes qui ont réussi à s'imposer et à se faire respecter dans cette société, qui ont refusé de se laisser prendre dans l'étau des conventions, ont recherché le bonheur selon leurs propres termes, dans la dignité, le culte de l'effort et de l'apprentissage, le respect des autres. A toutes ces femmes, je souhaite une excellente journée de célébration de leurs droits, et je les encourage à continuer à demander plus à la vie, à laquelle elles donnent déjà tant. Et à toi ma fille, je te dis, à bientôt j'espère.

4 commentaires:

  1. Chère "ancienne mbenguiste" ;)

    Cela fait maintenant plus de trois ans que j'ai découvert ton blog et je n'ai jamais pris le temps de te dire à quel point il est la fois rafraîchissant et enrichissant.
    Tu as un réel talent pour l'écriture tu sais. J'ai lu certains de tes textes à ma mère et elle m'a dit: "cette femme sera écrivain".
    Alors tout simplement merci du fond du coeur de nous partager tes expériences en toute honnêteté, avec amour et simplicité et longue vie à ton blog!

    Une admiratrice de Mbeng

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    1. Hey Merci beaucoup!
      Ca fait vraiment chaud au coeur. Pour l'écriture, j'ai vraiment essayé mais pour l'instant je n'arrive pas à concocter un projet solide. C'est beaucoup plus facile de tenir un blog! Je vais continuer à essayer quand meme... Merci encore pour les encouragements!

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