vendredi 3 janvier 2014

Un aperçu de la réalité des hôpitaux publics camerounais

Hey les amis c'est comment?

Vous avez passé de bonnes fêtes?!
Bonne année 2014 en tout cas. Je vous souhaite tout le tralala, amour, gloire et beauté, argent, santé, etc, etc.
Si j'ai un seul vrai conseil à vous donner, c'est de vivre chaque jour comme le dernier et surtout de ne pas avoir peur de prendre les décisions qu'il faut au plus vite, même les plus douloureuses. La vie n'a pas de brouillon donc ne perdez pas de temps...

Bienvenue en janviose!
Le mois le plus long de l'année, le mois de l'après fête, le mois du soleil qui tape fort sur la tête, où les bières se font rares et les poches légères...
Mon mois de Janvier à moi risque d'être encore plus compliqué que la moyenne. Figurez-vous que j'ai eu la bonne idée de me casser un doigt durant les fêtes. J'ai dû finir aux urgences d'un grand hôpital de la place à cause d'un doigt sur lequel la douleur persistante devenait des plus louches... L'hôpital public était incontournable car seuls les certificats médicaux de ces institutions ont une quelconque valeur légale.

Donc là, je suis partiellement handicapée, dans l'incapacité d'utiliser ma main gauche. Pour information, je suis gaucher et mon boulot a un gros volet manuel. Chiche. Les théorèmes de murphy, vous connaissez?

Bon, à quelque chose malheur est bon, surtout pour vous. J'ai pu découvrir les "urgences" à la camerounaise. Comme mon autre travail, c'est de vous faire un kongossa objectif sur tout ce que je vais (re)découvrir dans mon beau pays, je me dois de vous raconter mon passage dans cet hôpital de référence camerounais et ma belle aventure avec ce "gentil" médécin que nous appellerons docteur Mannolap! Surtout que j'arrive à taper d'une main (juste pour prévenir que les articles se feront rares). Ce sera notre premier article de 2014.

Me voici donc à l'hôpital X en plein 21h pendant les fêtes. Mon doigt est bizarrement tordu et j'ai mal. Je me dirige vers le bâtiment des urgences qu'on m'a indiqué au portail d'entrée. A l'extérieur, sur les marches, des personnes sont assises, la tête entre les mains pour les plupart, et le regard vide. Un proche aux urgences durant les fêtes, quoi de plus atterrant?

docteurJ'entre et je me dirige vers la salle d'accueil. Là, le docteur Mannolap, tout majestueux, trône sur une chaise rustique, derrière une table encore plus rustique. Et il consulte. Il enchaîne les cas, assisté de deux internes très jeunes et très gentilles d'apparence (elles l'ont été en vrai aussi).
Bon, mon petit doigt m'a donné un conseil et j'ai tout de suite activé l'option "whitisage", vous savez, c'est mon bouton intérieur qui me permet de parler comme Endallè à la demande. C'est peut être la tête du médecin qui m'a fait déduire que ça pouvait être utile. Si je savais que je venais par la même occasion d'accélérer ma prise en charge mais aussi l'allègement de ma poche...

Docteur Mannolap s'est très rapidement intéressé à mon cas et s'est démené pour me trouver une salle afin qu'il puisse m'examiner. La procédure, quoi. J'y entre, et il me demande de m'installer sur une couche pleine de ...sang séché. Je regarde le sang et je le regarde. Une fois, deux fois. Il comprend enfin mon hésitation et me demande d'un air innocent si je n'ai pas un drap à installer sur le lit...
"Mais bien sûr docteur, je marche avec des draps dans ma poche..."
Je finis par m'installer au bord du lit, bien au bord, à deux doigts de tomber pour éviter tout contact avec le sang de l'individu qui est passé je ne sais combien de temps avant moi et je laisse le docteur commencer à m'examiner.
On palpe le ventre, on palpe les ganglions et soudain.... Hop, le docteur suspend ses mains en l'air... "vous devez me payer la consultation". Cinq secondes de silence.
Okay. "Combien?"
"Je ne sais pas moi, vous avez combien?"
Wandaful. Donc le prix de la consultation dépend de ce qu'on a??? Sur le coup, sans doute aveuglée par la douleur, je fouille la poche de mon jean et je ressors deux billets de deux mille que je tends. "ça suffira?".
Le docteur fait la moue et hop, les billets disparaissent dans sa poche. Je reste bêtement le poing en l'air, en train de regarder l'emplacement où mon argent était situé quelques secondes avant. "Mais, mais, mais... et le reçu?"
Mannolap me toise, décrète que l'examen est fini et sort de la salle d'examination. Autant pour mon reçu. Je rumine et je le suis en me demandant pourquoi il me palpe alors que c'est mon doigt qui est cassé. Vous savez à quel point j'ai horreur de ça n'est ce pas, parce que je sais que je viens de subir la première frappe d'une bonne série de frappes.
Je ne vais pas faire un scandale avec autour de moi des personnes qui souffrent le martyre et qui attendent le même docteur Mannolap pour qu'il sauve éventuellement leur vie par contre. Je sais reconnaitre les milieux hostiles. Je ne dis rien et je me promet de remettre à plus tard ma demande d'explications.
Je vais ensuite à sa demande vers les infirmiers pour une injection qui calmera la douleur de plus en plus importante. Quand j'arrive, une grand mère est en pleine négociation avec les infirmiers à l'air impassible. Finalement, elle abandonne et s'en va. Je demande donc à un des infirmiers de m'expliquer ce qui se passe. Il m'explique qu'elle voulait qu'ils administrent un soin à un de ses parents malades mais qu'elle n'avait pas l'argent nécessaire pour les payer. J'ai demandé à l'infirmière comment elle se sentirait si la personne mourrait parce qu'elle n'avait pas eu de quoi lui graisser la patte. Elle m'a répondu qu'il y avait les fosses communes. Et tout le personnel dans le cagibi infirmier de rire aux éclats devant mon air. Oui, autant pour moi et le respect de la vie humaine.


Je vais ensuite à la radio, puis je reviens avec mon cliché pour voir le docteur Mannolap. On me prescrit des calmants et on me demande de revenir le lendemain pour voir un vrai traumatologue qui décidera quoi faire de ma fracture. Assise face à lui, pendant qu'il rédige mes ordonnances, j'ai tout le loisir de l'observer et d'observer l'alliance à son annulaire. Ah oui, un frère a déjà une famille à nourrir, il faut pardonner le racket... Je me demande combien il prend à chaque patient qui passe devant lui comme ça et je me demande si je dois lui en vouloir ou pas.

Pour avoir quelques connaissances dans le domaine médical au Cameroun, je sais que les médecins sont clochardisés dans le secteur public. La paie est misérable (cirer les bancs aussi longtemps pour cent cinquante mille ou deux cent mille francs par mois c'est un scandale), et ils sont d'ailleurs victimes eux mêmes de racket de la part de ceux qui sont censés les payer. Petit anecdote : une amie me racontait comment la personne en charge de la caisse dans son hôpital récupérait systématiquement 10% de leurs émoluments. Et ils n'avaient pas trop le choix. Soit tu donnes, soit tu attends des jours et des jours pour qu'il veuille bien te payer. Entre temps, bonjour les problèmes si tu es marié comme le docteur mannolap et tu as une famille à nourrir. Le résultat est donc qu'ils développent une insensibilité incroyable face à leurs patients. Business is business;
Ca change de la France hein? Où tu es reçu, soigné et traité sans qu'on ne te demande un sou à l'hôpital public. La facture arrive après à l'adresse que tu indiques. Bon, ça explique sans doute le trou de la sécurité sociale et une partie des problèmes de la France parce que tout le monde ne paie pas...

Bon, revenons à notre histoire. Rendez vous a été pris pour le lendemain avec le même médecin qui me mènera à un traumatologue et me fera un arrêt médical d'au moins un jour pour le boulot.

De retour le lendemain. Je retrouve notre médecin au même endroit. Dès qu'il me voit, il sourit. Contrairement à la veille, la foule est plus compacte mais il me fait tout de suite signe de m'approcher. Je me rapproche et il m'explique la conduite à tenir pour mon doigt et la procédure pour le certificat médical dont j'ai besoin.
Devant l'assemblée réunie, il déclare :
" Alors, vous devez acheter l'imprimé-ci, c'est 2000 francs (un papier blanc imprimé en pagaille sur sa table), ensuite vous préparez le paquet du médécin pour qu'il vous signe le certificat..."
Et moi de lui demander :" Le paquet? je ne comprend pas..."
"Vous ne comprenez pas? La signature du certificat se fait à huit mille madame."
Ce qui me fait le plus mal dans l'histoire c'est que tout le monde entend autour de moi, et personne n'a l'air de se formaliser de quoi que ce soit.
Et moi de lui demander le plus sournoisement du monde. "Cette fois, je voudrais un reçu, vous savez c'est pour me faire rembourser". Et il ne sourit plus. "Ah si vous voulez un reçu, ça va être plus compliqué. Ca va être plus long (et il insiste sur long) et d'ailleurs je n'ai pas de reçus sur moi. Attendez donc." Et il cesse de s'intéresser à moi et reporte son attention sur le patient devant lui qu'il avait d'abord délaissé.
J'étais en compagnie d'un membre de ma famille qui s'est empressé de me chasser des urgences, en m'ordonnant d'aller voir le traumatologue immédiatement, ce que j'ai fait non sans lui avoir précisé à haute voix que je ne souhaitais pas qu'il prépare un quelconque paquet à un quelconque médécin sans reçu.
Bon, quand je suis revenue trente minutes plus tard (sans avoir vu de traumatologue car ce dernier n'était pas à son bureau et qu'il y avait déjà une file de vingt personnes en attente), mon certificat médical était prêt et Mannolap souriait à nouveau. Et mon cousin de me dire qu'il a payé non plus huit mille mais dix mille, dont deux mille pour essuyer l'affront que j'avais fait au médécin auparavant.
"Tu te crois en France ici?" Voilà ce qu'il m'a sorti, alors qu'on sortait de l'hôpital pour aller dans une clinique privée où je pourrais avoir des soins plus rapidement, mon certificat en main (droite).
Je n'ai pas eu le coeur de commencer une discussion. Il ne comprendrait pas. Pas grand monde ne comprendrait d'ailleurs ma position.
Mannolap a probablement besoin de l'argent que je lui ai donné pour vivre. Mais autour de moi, il y avait des personnes qui ne pouvait pas payer le surplus pour se faire soigner rapidement. Et généralement, tu peux crever lorsque tu te retrouves dans un hôpital sans le minimum ou si tu refuses de payer au delà de ce que tu dois normalement payer. Voilà ce à quoi on est réduits dans ce pays. A minimiser les vies humaines au point d'en laisser mourir.
Va-t-on s'en sortir un jour?
La question doit vraiment être posée car ce pays et nos mentalités me font peur.

Voilà donc comment s'achève mon périple dans un hôpital public camerounais. Un tour dans cet hôpital et j'ai réalisé à quel point le système camerounais est compliqué. On n'est pas sortis de l'auberge hein.

Bonne année 2014 à vous en tout cas. Je vous souhaite d'être toujours en bonne santé, et de ne pas avoir à croiser un docteur mannolap hein....

3 commentaires:

  1. Bonne année 2014, je souhaite vraiment que les choses changent et qu'il y ait plus de mentalité comme la tienne. C'est par là que le changement viendra.
    C'est vraiment très triste comme histoire et je trouve que les choses ont empiré. Pour avoir passé beaucoup de temps dans les hôpitaux aussi bien publics que privés à Douala à cause d'une grand mère assez souvent malade, je comprends de quoi tu parles.
    Je me souviens d'un patient à qui il manquait 7.000 F une fois et qui ne pouvait pas payer; le lendemain un membre de ma famille voulant l'aider a malheureusement trouvé son lit vide, il n'était plus là (chassé ou mort?) j'étais trop jeune même pour oser demander et j'avoue que j'avais peur de connaitre la vérité.

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    1. Re bonne année à toi aussi homo :)
      En effet, c'est assez effrayant de réaliser que des gens peuvent mourir pour des sommes aussi dérisoires dans ce pays. La pauvreté et la misère ont fait en sorte qu'on devienne insensible aux tourments des autres, trop occupés qu'on est à gérer les nôtres. Ca fait froid dans le dos mais je garde espoir. Qu'on prenne déjà conscience que c'est une situation anormale dont on DOIT se sortir et je crois que ce sera le début du bout du tunnel...

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  2. J.D je lis ton blog depuis un moment, tout comme toi , je suis kmer, je suis go chez les white trop jeune, aujourd'hui je pense back au pays dèjà parce que le pays des white là c'est pas pour nous ohh et aussi un moment il faut revenir d'ou on vient ou bien.
    notre pays a des mentalités qui sont le resultat de notre mauvaise gouvernance, je ne fais pas rentré dans les grandes theories qui vont me depasser, mais je peux assurer que c'est l'effet domino quand un pignon est déraillé ça foire tout le système d'engrenage...

    Au vue de ton histoire et tes diffèrents post sur le cameroun, je voudrais te conseiller un roman qui m'a marqué, tellement les histoires que tu racontes et celles de ce romancier sont simillaires: le titre du roman c'est le tigre blanc de ARAVIND ADIGA ( maman ne m'insulte pas en disant que mes histoires de blanc la à parler toujours de roman ohhh)
    sur ces quelques mots pleinje te souhaites plein de courages a toi dans ton périphes, nous suivont tes aventures et tu nous renvoie un rayon de soleil du cameroun à travers tes récits, le jour que je back je vais te payer une bière seulement ( laisse seulement c'est mon coté kmer qui parle norr) lol

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