mercredi 12 mars 2014

Le 8 Mars.. Vu par Samy le beau gosse


Samedi 8 Mars 2014.

Samy, le beau gosse, s'est réveillé à 6 heures du matin et a ouvert sa valise. Il en a sorti sa plus belle chemise, d'un blanc impeccable et tellement bien amidonnée qu'elle craque sous ses doigts. En sifflotant, le gars passe un coup de fer dessus. Dans sa tête, c'est l'équivalent local de "happy" de Pharrell Williams qui passe. Aujourd'hui c'est un grand jour, c'est la Journée Internationale de la Femme. Et Samy est "happy". Pour plusieurs raisons.

8 heures. Le beau gosse est fin prêt. La patrouille peut commencer.

Il se dirige d'abord vers son lieu de service. Il n'est pas une femme, mais il est là en tant que supporter de la cause et sera bien reçu, il n'en doute point. Il n'est pas venu là uniquement pour partager le petit déjeuner gracieusement offert avant le défilé à la gente féminine par le grand patron, qui est aussi accessoirement le plus grand chaud lapin de la planète, mais pour écouter aussi...
"ça se passe où ce soir?"
"moi je vais au XXXXX avec les femmes de ma tontine ohhhh",
"nous on va aller manger au XXXX puis finir à la Rue de la joie"
"on va se retrouver alors!"

Voilà. En quelques minutes, il a glané de précieuses informations. Des informations capitales. En plus, la collègue en question, celle qui parle de la rue de la joie, est un joli morceau bien "brun" qu'il calcule depuis et qu'il n'a pas osé attaquer. Ce soir, la bière coulera à flots, les femmes aussi, à la rue de la joie...

12 heures. Samy est en plein milieu d'une conférence. L'association des femmes intellectuelles longs crayons a organisé un débat sur le thème de 2014 : "l'égalité pour les femmes, c'est le progrès pour toutes et tous".
Elles au moins, connaissent le thème de la fête qu'elles célèbrent, pas comme toutes les autres là (la majorité) qui pensent seulement à boire, forniquer et festoyer.
La veille, il a demandé à une mère du quartier ce que cette fête signifiait pour elle, qui ne cessait d'en parler depuis plusieurs semaines : elle a souri de toutes ses dents avant de déclarer : "tu vas m'acheter la bière non??? c'est la journée de la femme!!!".
Samy ne valide pas ce que les femmes de la conférence racontent. Comment une femme doit apprendre à être forte face aux hommes. Comment elles doivent être des boss aussi.  Maîtriser leur destin. Leurs carrières. Obtenir le respect de leurs conjoints.
Pour Samy, les femmes camerounaises peuvent avoir toute l'égalité du monde qu'elles veulent hein. Encore faut-il savoir à quoi elles veulent être égales. Dieu merci, nulle part dans le thème, le mot "homme" n'a été mentionné. Donc tout va bien. Elles peuvent être égales à elles mêmes donc. Juste en dessous des hommes.

Samy applaudit à tout rompre, et se lève même, face aux déclarations d'une des "féministes de Mokolo". Elle dit qu'une femme ne doit pas se marier pour divorcer, mais ne doit pas avoir peur du divorce, si ça ne va pas. Il la connaît, c'est sa voisine qui fait du zèle. Le soir, ou plutôt le lendemain, quand elle reviendra du travail un peu trop tard, son mari va correctement la chicotter et remettre ses idées en place. En attendant, il l'applaudit. Quand, à la sortie, il va se diriger comme tout le monde vers le buffet offert, elle ne s'y opposera pas. Il est un sympathisant de la cause.
Bon, quelques minutes plus tard, il n'est pas très content parce que les amuse-gueules offerts ne font effectivement qu'amuser sa gueule.

16 heures. Samy a suivi les femmes de la tontine de sa cousine à la maternité d'un hôpital de la place. Elles vont offrir aux nouvelles mamans des vêtements de bébé, du lait, des couches et consort. Il a entendu dire qu'un repas plus conséquent sera offert aux participants à l'issue du don. Du koki, du ndolè, du kondrè. Il s'installe sous la bâche dressée pour l'occasion, à coté d'une matrone qui affiche un air satisfait. Comme ne pas être satisfaite, alors qu'elle accomplit sa bonne action de l'année.
Toutes les femmes ont d'ailleurs l'air très contentes. Elles devisent gaiement, et arborent toutes le pagne rose ou jaune de la fête. Ah ce fameux pagne.

Samy pense à comment il a du fuir toutes ses "torpilles" durant les semaines précédant le 8 Mars. Elles n'avaient toutes que ce mot à la bouche : le pagne, le pagne , le pagne. Non contentes de réclamer de lui qu'il se comporte (encore une fois) en pourvoyeur, certaines frisaient l'indécence en demandant l'argent de la couturière avec!
Dieu merci, Samy a pu y échapper. Cela lui a valu un régime au pain sec durant quelques jours, quelque soit la porte où il allait toquer la nuit, mais il est intimement persuadé que le 8 Mars au soir, toutes ces privations ne seront qu'un mauvais souvenir...

18 heures. Enfin. La nuit tombe, tous les chats sont gris. Non, en fait, toutes les chattes sont roses et jaunes. Samy s'est installé à la rue de la joie dans un bar couru. Elles arrivent par vagues, très joyeuses. Les bières s'empilent sur les tables, les cris de joie fusent, les radios crachent les dernières nouveautés musicales et les danseuses font l'exposition de leurs talents. Samy carbure à la petite guinness mais y va très doucement.
Règle numéro un du patrouilleur : être toujours plus sobre que sa proie.
D'ailleurs, en voilà une. Elle n'est pas très intéressante physiquement, mais bon, c'est encore le début de soirée, il n y a pas beaucoup de choix. Six cadavres de cannettes Heineken sont entassés devant elle et déjà, elle fait le sassayé. Petite joueuse hein.
Le bikutsi chauffe. Elle se lève et va sur la piste de danse : "ça, ça, ça, et ça là...". Avec la gestuelle qui va avec. Merci Lady Ponce. Samy se fraie un chemin à travers la nuée de vautours qui s'est tout de suite formée autour d'elle et l'empoigne. Il est lui même un très grand danseur. "tu vas mourir, tu vas laisser... ça". Non ma chérie, je ne vais rien laisser....
Trente minutes plus tard, elle est allongée à même le sol derrière le bar. Une tôle a fait l'affaire. Samy refait sa mise, jette un dernier coup d'oeil à celle dont il ne connait même pas le nom et repart faire ses affaires au bar.
Quelqu'un a fini sa petite Guinness entre temps. Ce n'est pas grave, il commande une deuxième et attend. Cette fois, il y a plus de monde, plus de choix. Hummm, Samy remarque de beaux morceaux, dont sa collègue. Il lui fait un petit signe de la main de loin. Elle le toise.
"Aka, elle n'a qu'à crâner. C'est la journée de la femme. Elles sont versées dehors".
Et elles font preuve d'une certaine...générosité. Même si c'est propre, même si c'est sale, soulevez!

La technique du crabe marche toujours. On repère une femme cuite à point, on l'approche subtilement, on l'éloigne un peu, et on lui donne de l'affection... Plus la soirée avance, plus elles tombent comme des mouches. Samy peut même se permettre de faire la fine bouche. "Un peu trop grosse à mon goût", "pas assez claire", "sale...". La concurrence devient aussi plus féroce. D'autres beaux gosses affluent et il n'est pas rare de tirer par le pied, quand un adversaire tient la tête. Dur, dur, la vie de pointeur.
A un moment, on se dispute celle là, qui a pourtant une alliance qui scintille à son doigt. Ce sont les cas les plus délicats, car il faut terminer l'affaire avant que le propriétaire légal du dossier ne se mette à sa recherche, auquel cas, des coups de poing seront échangés...

Et c'est ainsi jusqu'au petit matin. Samy peut enfin rentrer chez lui, repu. Il a cessé de compter à un moment le nombre de ses conquêtes. Vivement à l'année d'après! Peut être que la collègue qui crane se laissera aller.

Samy aime particulièrement la journée de la femme. Comme tous les ans, c'est l'occasion pour les femmes de se laisser aller à tous les excès possibles, avec une excuse en béton armée : c'est la journée de la femme! C'est sans prises de tête, sans réflexions kilométriques sur la place de la femme dans une société où le machisme reste bien ancré dans les mœurs, où la violence conjugale est une banalité, où l'infidélité masculine fait partie du décor, où la misogynie n'a rien de scandaleux.

Bienvenue au Cameroun et vive le 8 Mars.La fête de la femme, c'est la fête tout court. N'en demandez pas plus. Et dès le lendemain, la vie reprend son cours et la fête de l'homme reprend.

3 commentaires:

  1. Humm, ça fait peur cette description, ça dégoute même! Où est la dignité humaine? Je parle pour celles qui s'oublient complètement et pour ceux qui profitent. Je me rappelle une phrase dans une chanson de rap quand j'étais jeune : "Si tu ne te respectes pas (la femme), je ne le ferai pas pour toi (l'homme)!", je ne l'ai jamais oublié!

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  2. Belle écriture, beau récit qui dépeint fidèlement cette triste réalité de la "fête de la débauche des femmes", le 8 Mars. Pourquoi s'embarrasser avec des réflexions ou des actions, pouvant faire évoluer la place de la femme dans notre société, quand on peut se pavaner en pagne et boire??? #Shame

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  3. Merci pour ton écriture. C'est vraiment dommage qu'on en soit réduit à ça pour commémorer cette journée au Cameroun. Tu décris exactement la réalité au pays et sincèrement elle fait peur, limite ne donne aucune envie de rentrer ou se battre dans un décor pareil; surtout pour les peureux comme moi lol.

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